Sécurité publique et justice au cœur du débat
Le week-end dernier, Brazzaville a retrouvé un calme relatif après des descentes musclées des forces de défense contre les bandes dites « bébés noirs » et « kulunas ». Ces groupes, actifs depuis plusieurs mois, avaient imposé un climat de peur dans plusieurs arrondissements.
L’intervention a mobilisé les unités de la Direction générale de la sécurité présidentielle et de la Garde républicaine, venues prêter main-forte à la police et à la gendarmerie dans le cadre de l’opération « Coup de poing ». Les arrestations ont été nombreuses, selon les témoins.
Une partie de la population salue la fermeté affichée, espérant qu’elle se prolonge jusqu’à l’élimination durable de la criminalité de rue. Les riverains interrogés n’ont toutefois pas tous connaissance du cadre légal précis ayant rendu possible la participation des militaires.
Une opération « Coup de poing » sous les projecteurs
Lancées en urgence, les patrouilles conjointes ont ciblé les quartiers réputés difficiles, de Talangaï à Makélékélé. Les responsables sécuritaires estiment que la rapidité de l’action était indispensable pour surprendre des gangs mobiles et souvent armés de machettes ou d’armes artisanales.
Des vidéos amateur relayées sur les réseaux sociaux montrent l’entrée en force dans des « écuries » supposées abriter des malfaiteurs. Dans ces séquences, des suspects couchés au sol sont menottés avant d’être conduits vers des points de regroupement.
Si le chiffon rouge des dérives est régulièrement agité, aucune information officielle ne fait état de victimes civiles à ce stade. Les autorités soulignent que l’objectif demeure la protection de la population et la restauration de la confiance dans l’ordre public.
La voix du Centre d’actions pour le développement
Le 30 septembre, le Centre d’actions pour le développement a diffusé un communiqué signé par son responsable campagne et plaidoyer, Guerschom Gobouang. Le texte dénonce « la manière dont s’exécute l’opération de lutte contre le banditisme » dans la capitale congolaise.
« Remplacer la justice par les armes, c’est renoncer à l’État de droit », avertit le militant, qui appelle à l’arrêt immédiat des interventions militaires hors du périmètre légal. Le CAD insiste pourtant sur la nécessité de combattre la criminalité qui frappe les quartiers populaires.
L’organisation rappelle qu’elle n’est pas hostile aux opérations de sécurité publique mais souhaite qu’elles s’inscrivent dans un cadre judiciaire clair, prévoyant la présomption d’innocence, l’accès à l’avocat et le contrôle indépendant des lieux de détention.
Réformer le système judiciaire : enjeux et pistes
Dans son mémorandum, le CAD plaide pour un « plan national de réforme structurelle » de la justice. L’idée est de corriger les lenteurs, la saturation des prisons préventives et les obstacles financiers qui minent l’accès au droit des plus modestes.
Parmi les pistes avancées figurent la généralisation de l’aide juridictionnelle, la modernisation du casier judiciaire et le renforcement des tribunaux de paix dans les zones urbaines. Ces propositions visent à éviter que l’insécurité ne justifie des réponses exclusivement musclées.
De nombreux avocats indépendants partagent ce diagnostic. Ils soulignent que des dossiers correctionnels stagnent parfois plusieurs mois, laissant les mis en cause comme les victimes dans une incertitude prolongée. Une justice plus rapide, estiment-ils, consoliderait la légitimité de l’action répressive.
Entre attentes populaires et garanties de droit
Dans les rues de Moungali, certains habitants interrogés considèrent l’opération « Coup de poing » comme « la seule langue comprise par les bandits ». Ils invoquent les agressions nocturnes qui ont coûté à des familles téléphones, motos ou bijoux.
D’autres, tout en partageant le désir de sécurité, disent craindre d’éventuelles bavures. « Il faut que chacun réponde de ses actes devant un juge, pas sur le terrain », explique une étudiante en droit, qui voit dans la réforme judiciaire une urgence complémentaire.
Le gouvernement a affirmé à plusieurs reprises son attachement à l’État de droit. Des observateurs estiment qu’une articulation plus fine entre forces de sécurité, parquet et juridictions d’instance pourrait répondre simultanément à l’impératif de protection et au respect des libertés.
Des experts interrogés sur la complémentarité Police-Justice
Interrogé, un magistrat décrit le recours ponctuel aux unités militaires comme un « appui opérationnel sous contrôle du parquet ». Selon lui, la coordination est réalisée via des réquisitions formelles adressées aux forces engagées afin de garantir la traçabilité des arrestations.
Un sociologue spécialisé en violence urbaine rappelle que les « bébés noirs » recrutent souvent des adolescents en rupture scolaire. Pour lui, la réponse doit aussi intégrer la réinsertion, faute de quoi « chaque vague répressive prépare l’émergence d’une nouvelle génération de délinquants ».
Dans ce contexte, la réforme judiciaire proposée par le CAD pourrait, selon cet expert, compléter le dispositif sécuritaire en offrant des alternatives crédibles à la détention préventive et en accélérant le traitement des affaires mineures.
Vers une convergence entre institutions et société civile
Même si le CAD demande la suspension immédiate du volet militaire de l’opération, son appel à réformer la justice rejoint le constat, partagé par plusieurs institutions, d’un besoin de modernisation. Le champ semble ouvert à un dialogue constructif.
La population, quant à elle, espère une paix durable dans les quartiers et une justice accessible. Entre efficacité opérationnelle et garanties procédurales, l’équilibre reste fragile, mais les discussions engagées pourraient déboucher sur des ajustements susceptibles de renforcer à la fois sécurité et confiance citoyenne.