Un secteur en plein essor
À Brazzaville, un nouveau paysage urbain s’esquisse au rythme des brouettes et pousse-pousse poussés par de jeunes pré-collecteurs. Ces silhouettes en combinaison fluorescente rappellent que la gestion des déchets peut aussi être un laboratoire d’emplois.
Ils sillonnent les ruelles pour récupérer, contre 100 à 200 francs CFA, les sacs déposés devant chaque concession. Le service séduit car il pallie les difficultés d’accès rencontrées par les opérateurs traditionnels du ramassage mécanisé.
Selon la mairie de Brazzaville, la capitale produit environ mille tonnes de déchets ménagers quotidiens. Dans ce gisement, la pré-collecte représente un segment stratégique que de jeunes entrepreneurs structurent progressivement en coopératives reconnues par l’administration.
L’économie circulaire à l’échelle des quartiers
Le modèle repose sur la proximité : l’opérateur frappe à la porte, vérifie le tri sommaire et transporte les ordures vers un point relais. Cette attention micro-locale réduit les dépôts sauvages et améliore la salubrité immédiate.
Une fois rassemblés, les sacs intègrent le circuit officiel confié à Albayrak Waste Management Company, prestataire national. Les deux maillons se complètent, évitant les ruptures logistiques qui laissaient auparavant certains quartiers sans solution durable.
Cette chaîne courte ouvre la voie à une première valorisation. Beaucoup de pré-collecteurs expérimentent déjà la vente de plastiques ou de métaux récupérables, prémices d’une économie circulaire qui pourrait, à terme, diversifier les revenus du secteur.
Effet social : jeunesse et pouvoir d’achat
Brazzaville compte une population jeune estimée à plus de 60 % sous 35 ans. Dans un contexte de recherche d’emplois formels, la pré-collecte propose un revenu immédiat sans exiger de diplôme préalable, mais valorise la débrouillardise.
Jean-Pierre, vingt-quatre ans, explique qu’il « peut désormais contribuer au loyer familial et économiser pour un permis de conduire ». Son témoignage, fréquent dans les arrondissements sud, illustre l’impact direct sur le pouvoir d’achat.
Des responsables de quartiers constatent aussi une baisse des micro-délinquances liées au désœuvrement. L’occupation quotidienne, combinée aux gains réguliers, renforce l’inclusion sociale et nourrit un sentiment d’utilité publique reconnu par les riverains.
La Direction générale de l’Emploi indique étudier un dispositif d’accompagnement pour transformer ces initiatives en véritables très petites entreprises. Des formations à la gestion simplifiée pourraient accélérer la professionnalisation sans altérer la flexibilité du modèle.
Partenariats publics-privés stimulants
Le ministère de l’Aménagement, conscient du potentiel, encourage des partenariats tripartites associant collecteurs, municipalités et société concessionnaire. L’objectif est d’optimiser les tournées et de réduire les coûts en carburant, goulot majeur du transport des déchets.
Pour le professeur de sociologie Urbain Kimbembé, « le succès repose sur la confiance mutuelle. Les pouvoirs publics donnent un cadre, les jeunes innovent et les habitants paient un prix perçu comme juste ».
La Banque mondiale a inscrit la gestion des déchets parmi les secteurs prioritaires de son guichet dédié aux villes africaines résilientes. Des lignes de crédit pourraient soutenir l’achat de matériel roulant plus robuste et plus sûr.
Les opérateurs locaux espèrent également bénéficier des incitations fiscales annoncées dans la loi de finances 2024 pour les activités vertes. Une exonération temporaire de TVA améliorerait la rentabilité des premiers investissements collectifs.
Le groupe parlementaire chargé du développement local prépare pour sa part une proposition de loi visant à faciliter l’octroi de licences d’exploitation. Ce cadre juridique allégerait les démarches et sécuriserait les investissements privés.
Entrepreneuriat vert : défis et perspectives
Malgré ces avancées, le métier reste physiquement exigeant. Les collecteurs demandent un accès facilité aux vaccins contre le tétanos et des équipements de protection normalisés, gages de santé publique et de pérennité de la main-d’œuvre.
Le défi logistique persiste également. Pendant la saison des pluies, certaines ruelles deviennent impraticables. Des systèmes de collecte fluviale ou des tricycles motorisés adaptés pourraient limiter les interruptions et sécuriser les revenus.
À moyen terme, l’informatisation des tournées via des applications mobiles est envisagée. Elle permettrait de géolocaliser les clients, d’émettre des reçus numériques et d’offrir une traçabilité appréciée par les bailleurs internationaux.
Enfin, la sensibilisation demeure cruciale. Sans tri domestique, les filières de recyclage resteront limitées. Les associations de quartiers, appuyées par des ONG, multiplient les campagnes d’éducation environnementale dans les écoles et les marchés.
Vers une gestion intégrée des déchets
L’adoption, en 2022, de la Stratégie nationale de gestion des déchets marque un tournant. Elle prévoit la création de centres de tri modernisés autour de Brazzaville et Pointe-Noire, capables d’absorber l’afflux quotidien.
Dans ce schéma, la pré-collecte constitue l’amont indispensable. Les autorités envisagent de lui attribuer un statut légal précis afin d’intégrer données, tarifs et normes de sécurité dans la future plateforme de suivi national.
Le potentiel de valorisation énergétique est également évoqué. Le ministère de l’Énergie étudie la possibilité de produire du biogaz issu des fractions organiques, premices d’un marché vert pouvant renforcer l’autonomie énergétique.
Pour la sociologue Gisèle Ngoma, « l’économie des déchets s’érige comme un champ professionnel légitime, créateur de liens sociaux et d’innovations ». Le pari semble réaliste si le dialogue entre acteurs demeure ouvert et inclusif.