Un dévoilement attendu à Brazzaville
Devant plusieurs journalistes réunis à Brazzaville le 14 novembre, le Souverain grand commandeur Marcel Laurent a officiellement présenté la Grande loge des cultures et de la spiritualité, créée en 2003 et encore méconnue du grand public congolais.
Cette obédience, mixte, théiste et laïque, affiche une ambition nette : contribuer, depuis l’Afrique centrale, au renouveau d’une Franc-maçonnerie universelle que son fondateur estime parfois détournée de sa vocation première, celle de la construction intérieure et de la fraternité authentique entre initiés.
Les motifs d’un renouveau maçonnique
Marcel Laurent rappelle qu’en France, patrie historique de nombreuses loges, la multiplicité des obédiences répondait autrefois à une diversité de sensibilités. Cependant, expliquait-il, la prolifération d’appareils a souvent conduit à une dilution du message maçonnique, d’où la nécessité, selon lui, d’un nouveau souffle.
Les premières années 2000 ont constitué, selon l’orateur, un moment charnière. Il dressa alors trois observations majeures, toujours d’actualité : l’entrisme de calculs politiciens, l’ascension d’un affairisme décomplexé et l’alourdissement bureaucratique des structures, autant de maux jugés contraires à l’esprit des « Landmark » fondateurs.
Diagnostique d’une crise hexagonale
Symptôme de cette dérive, avance-t-il, l’« hémorragie » observée sur le territoire français : en deux décennies, 125 000 sœurs et frères auraient quitté leurs ateliers, rebutés par la chute du niveau de réflexion, la fermeture d’appareils et la course aux honneurs décoratifs.
La réponse mixte et théiste de la GLCS
La GLCS entend répondre à ces défections par une proposition tranchée : la mixité intégrale, l’ouverture déclarée au sacré et la préservation d’un cadre laïque garantissant la liberté absolue de conscience. C’est dans cet équilibre que l’obédience situe aujourd’hui son identité singulière.
Symboliquement, chaque tenue s’ouvre devant l’Autel des serments, un coffre contenant la Bible, la Torah, le Coran, ainsi qu’un ouvrage immaculé destiné aux traditions théistes non abrahamiques. L’initié jure sur l’écrit correspondant à sa foi, geste que le grand maître décrit comme un pont entre convictions.
Ce positionnement théiste n’exclut pas, précise Marcel Laurent, la dimension philosophique. La loge convoque volontiers Spinoza, Bergson ou Cheikh Anta Diop pour nourrir la quête intérieure des membres. La spiritualité y côtoie l’exigence rationnelle, dans l’idée que progrès scientifique et élévation morale ne s’opposent pas.
Religion, philosophie et politique en dialogue
Interrogé sur la place du politique, le Souverain grand commandeur se montre pragmatique : la cité, tout comme la religion, n’est pas bannie des débats, pourvu que domine le respect des consciences. L’obédience ne revendique ni parti, ni courant, mais ne se replie pas non plus.
« Chaque obédience a sa raison d’être », insiste-t-il, évoquant celles déjà implantées en République du Congo. La Franc-maçonnerie, ajoute-t-il, gagne à demeurer plurielle, car c’est dans la confrontation pacifique des approches que peut naître l’enrichissement collectif et la fraternité sans frontières.
Il rejette toutefois la tentation du prosélytisme. L’entrée en loge, rappelle-t-il, reste un chemin volontaire, fondé sur l’examen intérieur. La GLCS n’a pas l’objectif de grossir ses effectifs à tout prix ; elle préfère, selon son dirigeant, privilégier la qualité des échanges et l’assiduité.
Un laboratoire congolais de la fraternité
Le discours résonne particulièrement à Brazzaville, où la société civile exprime régulièrement son besoin d’espaces de dialogue transpartisans. En misant sur une mixité totale – hommes, femmes, croyants divers – l’obédience espère incarner un laboratoire de cohabitation apaisée, au cœur d’une capitale en pleine mutation.
L’appel au « pouvoir intérieur » occupe également une place centrale. Pour Marcel Laurent, reconnaître en soi une parcelle de la force créatrice revient à assumer une responsabilité : celle de transformer sa propre vie avant de prétendre réformer la cité. La démarche se veut exigeante, presque ascétique.
Dans son propos, l’orateur s’attarde aussi sur les symboles communs aux différentes traditions. « Nous sommes des poussières d’étoiles », lance-t-il, citant Hubert Reeves pour rappeler l’universalité de la condition humaine. La loge entend faire de cette idée un moteur d’humilité plutôt qu’un motif de supériorité.
Croissance maîtrisée et ambitions régionales
Pour l’heure, la GLCS revendique une quinzaine d’ateliers répartis entre Europe et Afrique. Si le nombre semble modeste, le grand maître préfère y voir la preuve d’une croissance maîtrisée, à rebours de certains réseaux plus volumineux mais, à ses yeux, fragilisés par la dispersion.
La présentation de Brazzaville marque ainsi une étape de visibilité nouvelle pour l’obédience, qui compte multiplier les conférences publiques afin d’expliquer sa démarche. Son crédo est clair : la régularité doit rimer avec l’ouverture, et le secret initiatique avec un esprit de service envers la communauté.
Au Congo-Brazzaville, les autorités observent avec intérêt l’évolution de ces espaces de réflexion non partisans, dont les travaux privés peuvent parfois irriguer la société civile. Sans se substituer aux institutions, la GLCS affirme vouloir offrir un cadre supplémentaire de formation éthique et de responsabilité citoyenne.
Prochaine étape : l’installation d’un temple permanent à Brazzaville pour accueillir les cérémonies et les ateliers de recherche symbolique. Marcel Laurent espère que ce lieu deviendra, à terme, un carrefour sous-régional où convergeront artisans, universitaires et décideurs désireux de réfléchir collectivement au bien commun.
