Brazzaville se mue en agora continentale
Du 30 au 31 juillet, les berges du fleuve Congo se transformeront en véritable laboratoire sociopolitique à l’occasion de la cinquième édition du « Mbongui de la femme africaine ». L’initiative, portée par l’ONG Empower Women & Children (EWC), s’enracine dans la tradition kongo du mbongui, cet espace circulaire où la communauté délibère et forge le consensus. Transposé au XXIᵉ siècle, le concept épouse les exigences d’un forum international, conciliant symbolique ancestrale et impératifs de gouvernance moderne. Les organisateurs entendent mutualiser expertises et ressources afin de catalyser un développement durable que les Nations unies appellent de leurs vœux, tout en inscrivant la capitale congolaise dans la cartographie des hubs africains du savoir et de l’innovation.
Cette édition fait figure de tremplin vers 2025, déjà placée sous le signe « Femme africaine, pilier du développement durable et catalyseur de l’innovation ». En articulant résilience économique, inclusion sociale et transition écologique, le forum ambitionne de doter les participantes d’outils méthodologiques – leadership, levées de fonds, plaidoyer – pour leur permettre de transformer chaque défi en opportunité. Dans les couloirs du Palais des Congrès, les organisateurs misent sur la fertilisation croisée des compétences : universitaires, cheffes d’entreprise, responsables publiques et membres de la diaspora croiseront leurs diagnostics afin de générer des solutions ancrées dans les réalités locales mais exportables à l’échelle panafricaine.
Vers une gouvernance inclusive et performative
La République du Congo, engagée depuis 2022 dans son Plan national de développement (PND 2022-2026), considère l’égalité de genre comme un accélérateur de performance collective. Le ministère de la Promotion de la femme et de l’Intégration féminine soutient l’événement, convaincu qu’une participation plus équilibrée à la décision publique consolidera la stabilité institutionnelle prônée par le président Denis Sassou Nguesso. À l’heure où la représentation féminine à l’Assemblée nationale dépasse 20 %, la tenue d’un forum continental à Brazzaville confère à la diplomatie congolaise une vitrine supplémentaire pour afficher ses progrès et partager ses bonnes pratiques avec les délégations voisines.
Les ateliers prévus – élaboration de politiques sensibles au genre, simulation de leadership en situation de crise, analyse budgétaire – s’appuieront sur des indicateurs internationaux tels que l’indice d’autonomisation des femmes du PNUD. L’objectif est clair : fournir un appareillage technique solide afin que les participantes puissent influencer les orientations budgétaires dans leurs collectivités. « Une gouvernance sans les femmes est une équation à inconnue majeure », résume la politologue camerounaise Marie-Claude Kouam, invitée à ouvrir la session plénière. Sa formule reflète l’esprit d’un événement qui aborde la parité non comme un mantra moral, mais comme un levier empirique de performance publique.
Capital social, innovation et résilience
Au-delà de la sphère politique, le Mbongui capitalise sur l’incroyable réservoir d’entrepreneuriat féminin déjà à l’œuvre dans l’agriculture intelligente, les fintech ou la santé numérique. Selon l’African Development Bank, les Africaines créent actuellement une entreprise sur quatre sur le continent. L’espace brazzavillois ambitionne d’amplifier cette dynamique en mettant en relation porteuses de projets et investisseurs d’impact. Une session de « pitch » consacrée aux technologies vertes permettra, par exemple, de connecter une start-up congolaise de biodigesteurs à des fonds éthiques venus d’Europe du Nord.
La notion de résilience irrigue l’ensemble des modules. Qu’il s’agisse de diversification agricole face au changement climatique ou d’adaptation des chaînes de valeur post-COVID, les participantes exploreront des modèles hybrides associant économie circulaire et responsabilité sociétale des entreprises. « Nos mères ont toujours su transformer la rareté en abondance », rappelle l’économiste sénégalaise Rokhaya Sarr. Le forum entend traduire cet héritage en solutions scalables, susceptibles d’alimenter les marchés régionaux tout en consolidant la souveraineté alimentaire africaine.
Diplomatie socioéconomique au féminin
Le Mbongui ne se limite pas à l’empowerment individuel ; il se présente aussi comme un espace de diplomatie parallèle où se négocient des alliances transfrontalières. La présence annoncée de représentantes de la Commission de l’Union africaine et de l’Organisation internationale de la Francophonie traduit la volonté d’arrimer l’initiative aux grandes architectures normatives du continent. À Brazzaville, la rencontre des parcours – de l’ingénieure gabonaise de l’énergie solaire à la juriste rwandaise du droit du commerce – façonne un capital relationnel dense, propice à l’émergence de réseaux régionaux capables de soutenir des réformes en matière de libre circulation des biens et des personnes.
Dans un contexte où la diplomatie classique se réinvente sous l’influence des acteurs non étatiques, la voix des femmes devient un vecteur stratégique d’attractivité. Les organisateurs insistent sur la « soft power narrative » que génère une visibilité accrue des succès féminins : amélioration de l’image-pays, diversification des partenariats et renforcement de la coopération Sud-Sud. Le Congo-Brazzaville, fort de son positionnement géographique et de sa stabilité, capitalise ainsi sur l’événement pour consolider son rôle de plateforme d’influence sous-régionale.
Une trajectoire alignée sur l’Agenda 2063
À l’horizon 2063, l’Union africaine ambitionne « une Afrique prospère, fondée sur la participation pleine des femmes ». En articulant empowerment économique, innovation sociale et citoyenneté active, le Mbongui de la femme africaine s’inscrit dans cette trajectoire programmatique. Les conclusions attendues devraient suggérer des mécanismes de suivi – tableaux de bord, bourses d’incubation, plateformes numériques – afin d’ancrer dans la durée les avancées obtenues. La qualité des travaux servira ensuite de référence aux États désireux de décliner, dans leurs plans nationaux de développement, des politiques publiques ajustées aux réalités de genre.
Dans le mot de clôture provisoire, les organisateurs rappellent que « l’autonomisation n’est pas un slogan mais une infrastructure ». À Brazzaville, cette infrastructure se construit pierre après pierre : partages d’expériences, transferts de compétences, alliances institutionnelles. En offrant un cadre où la confiance et la solidarité ont rang de méthodologie, le Mbongui illustre la capacité du Congo à conjuguer héritage culturel et ambitions contemporaines. Une manière, en somme, de démontrer que la femme africaine n’est pas seulement le cœur battant du continent : elle en est aussi l’intelligence stratégique et la force motrice.