Un héritage urbain sous pression
Quiconque parcourt les boulevards de Brazzaville ou longe les artères coloniales de Pointe-Noire perçoit immédiatement la tension qui se joue entre urbanisation rapide et contraintes environnementales. Les deux pôles démographiques, forts d’une attractivité économique certaine, accueillent chaque année des milliers de nouveaux habitants. Cette croissance, conjuguée à des pratiques consuméristes plus diversifiées, a mécaniquement accru la production quotidienne d’ordures ménagères. Face à ce flux, les dispositifs d’évacuation hérités des décennies passées se révèlent souvent inadaptés, d’où l’apparition de points de dépôts informels qui finissent par se fossiliser dans le paysage local.
Le phénomène, largement documenté par les services techniques municipaux, a d’abord été interprété comme un simple déficit d’infrastructures. Pourtant, l’analyse sociologique indique également un rapport ambivalent au bien collectif. L’espace public, confondu avec un « dehors » anonyme, subit l’abandon des sacs plastiques dès la tombée de la nuit, geste qui s’inscrit dans une routine quotidienne plus qu’il ne relève d’une intention de nuire.
L’action publique à l’épreuve des attentes
Conscient de l’impact sanitaire et symbolique de ces décharges sauvages, l’exécutif national a inscrit, depuis la stratégie 2022-2026 pour une ville durable, la question des déchets au rang de priorité sectorielle. Les municipalités, bénéficiant d’un appui méthodologique du ministère de l’Environnement, ont ainsi multiplié les campagnes de salubrité et instauré le traditionnel samedi citoyen, moment de nettoyage collectif qui, selon les services de la mairie de Poto-Poto, permet déjà de retirer près de 400 tonnes de détritus par mois.
Il n’en demeure pas moins que la fréquence de collecte, la maintenance des bennes et l’accessibilité des décharges légales posent encore des défis logistiques. Les huit camions supplémentaires remis à la ville-capitale grâce au concours financier de l’Agence française de développement constituent une avancée notable, mais les ingénieurs estiment que la flotte totale devrait être doublée pour absorber la production quotidienne, évaluée à plus de 1 200 tonnes.
La dynamique partenariale avec le secteur privé
Pour accélérer la modernisation du service, les autorités ont choisi la délégation de compétence. La signature, en avril 2025, du contrat confiant à la société turque Albayrak la collecte et la valorisation des déchets dans les deux grandes villes marque un tournant. En moins de trois mois, l’entreprise a déployé ses premiers agents, doté ces derniers d’équipements adaptés et mis en circulation des compacteurs haute capacité. À l’en croire son directeur des opérations, le dispositif initial n’est « qu’une phase pilote destinée à affiner la cartographie des points noirs ».
La contractualisation publique-privée ne se limite pas à la logistique. Elle porte également une ambition technologique : la création de centres de tri et d’unités de compostage susceptibles de générer de l’emploi local et de réduire la pression sur les décharges finales. Les partenaires internationaux, notamment la Banque africaine de développement, ont exprimé leur intérêt pour ces volets à forte valeur ajoutée.
Le réveil citoyen, levier indispensable
Aucune stratégie de propreté ne saurait aboutir sans l’adhésion des riverains. Or, plusieurs associations de quartier, à l’image du Collectif Fleuve Propre, multiplient réunions de sensibilisation et sessions de formation au tri sélectif. Selon un récent sondage mené par l’Institut national de la statistique, 61 % des habitants de Talangaï se déclarent prêts à payer une redevance pour un service de collecte fiable, preuve que le consentement à payer existe dès lors que la qualité suit.
Les jeunes, vecteurs d’innovation sociale, expérimentent déjà des applications mobiles de géolocalisation des bacs pleins. Ces initiatives, relayées par les radios communautaires, redonnent une dimension participative à la gouvernance urbaine. Un sociologue de l’Université Marien-Ngouabi note d’ailleurs que « le passage de la plainte à la proposition constitue un saut qualitatif majeur dans la culture civique congolaise ».
Vers une écologie urbaine intégrée
À terme, la réussite de la politique de gestion des déchets reposera sur l’articulation fine entre ingénierie, finances et comportements. Les autorités nationales envisagent la mise en place d’un observatoire des déchets pour produire des données fiables, condition sine qua non d’un pilotage scientifique. Parallèlement, la révision du cadre réglementaire devrait introduire des incitations fiscales pour les entreprises recyclant leurs emballages et des sanctions graduées pour les dépôts illicites.
Alors que le pays s’apprête à célébrer le 65ᵉ anniversaire de son indépendance, la lutte contre les décharges sauvages s’invite ainsi comme un chantier emblématique d’un Congo-Brazzaville résolument tourné vers une modernité inclusive. L’enjeu dépasse la simple esthétique urbaine ; il touche à la santé publique, à la cohésion sociale et à l’image internationale du pays. En conjuguant volontarisme institutionnel, innovation privée et maturation civique, les villes congolaises tracent aujourd’hui la voie d’une écologie urbaine fondée sur la responsabilité partagée.