Coopération gouvernement-PAM en urgence humanitaire
Le 24 juin, dans la moiteur d’une capitale encore meurtrie par les eaux, la ministre des Affaires sociales, Irène Marie-Cécile Mboukou-Kimbatsa, a reçu le représentant du Programme alimentaire mondial, Gon Meyers. Au-delà de la traditionnelle photo protocoliaire, l’entretien visait à élaborer un dispositif conjoint capable de soulager les 14 000 personnes touchées par les inondations qui ont submergé les arrondissements de Talangaï et de Mfilou. Selon les données consolidées par le ministère de la Sécurité et de la Protection civile, 3 400 ménages ont vu leurs habitations englouties ou fragilisées, tandis que les réseaux électriques et les axes secondaires, déjà vétustes, se sont effondrés sous la pression de pluies exceptionnellement violentes (Rapport gouvernemental, juin 2024).
« Nous examinons la meilleure articulation possible entre assistance alimentaire immédiate, soutien logistique et mesures de protection des populations », a précisé Gon Meyers à l’issue de la réunion. Le PAM entend déployer des rations de survie pour un premier cycle de 30 jours, assorties de transferts monétaires ciblés pour les ménages vulnérables, conformément à la stratégie de réponse rapide validée l’an dernier par le Conseil d’administration de l’agence onusienne. L’UNICEF, le Haut-Commissariat pour les réfugiés et l’Organisation mondiale de la santé ont d’ores et déjà confirmé leur participation à une mission inter-agences destinée à affiner l’évaluation des besoins sur le terrain (OCHA, flash update, 25 juin 2024).
Inondations récurrentes à Brazzaville : un défi structurel
Ce nouvel épisode n’est pas une anomalie isolée. Depuis 2019, la présidence congolaise a déclaré six états d’urgence liés aux inondations, faisant de la saison des pluies un rendez-vous tragiquement prévisible. Les experts du Centre africain d’études sur le climat rappellent que l’intensification du phénomène La Niña, couplée à l’urbanisation non planifiée des collines entourant Brazzaville, accroît la vulnérabilité hydrologique de la ville (Etude CAEC, 2023). Les lotissements informels grignotent les zones de rétention naturelles, tandis que les caniveaux, souvent obstrués par les déchets, ne parviennent plus à canaliser les précipitations torrentielles.
D’après une note technique de la Banque mondiale, 72 % des habitants des quartiers péricentraux vivent aujourd’hui dans des zones exposées aux inondations soudaines. La dégradation des sols, conséquence de la déforestation périphérique, accentue les risques de glissements de terrain, phénomène qui a déjà coûté la vie à vingt-quatre personnes en décembre 2022. La récurrence des sinistres réduit progressivement le capital productif des familles, dont les maigres économies servent à reconstruire des maisons aussitôt ravagées, créant un cercle vicieux de pauvreté et de précarité alimentaire.
Vers une approche intégrée sécurité alimentaire et résilience
Le gouvernement, conscient des limites d’une assistance ponctuelle, cherche à articuler l’aide d’urgence à un programme de résilience communautaire. Dans l’immédiat, l’exécutif finance le déploiement de cuisines mobiles et l’achat de 300 tonnes de céréales locales auprès des coopératives du Pool, une stratégie qui répond simultanément à l’impératif nourricier et à la relance des circuits courts (Ministère de l’Agriculture, note interne, 2024). Pour sa part, le PAM envisage d’utiliser sa plateforme digitale SCOPE afin d’identifier, via biométrie, les bénéficiaires et d’éviter les doublons, un enjeu crucial dans une ville où l’état-civil demeure lacunaire.
À moyen terme, les agences onusiennes recommandent de lier les filets sociaux à des travaux d’atténuation des risques. Dans les secteurs de Massengo et de Nkombo, des comités de quartier pilotent déjà des chantiers de bétonnage de ravines et de reboisement de berges, financés par le Fonds vert pour le climat. « Il convient de passer d’une réponse réactive à une gestion anticipatrice des catastrophes », souligne le climatologue Henri Mpassi, conseiller auprès du ministère de l’Environnement. L’analyse coûts-bénéfices réalisée par la Faculté d’économie de l’Université Marien-Ngouabi estime qu’un dollar investi dans le drainage préventif génère six dollars d’économies sur les interventions post-crue.
Enjeux diplomatiques et financiers d’une réponse multilatérale
La réactivité du système onusien s’inscrit dans un contexte budgétaire particulièrement contraint. À New York, le Comité des programmes et de la coordination a récemment souligné la baisse de 18 % des contributions volontaires affectées à l’Afrique centrale, conséquence d’une compétition mondiale des crises (ONU, CPC, mai 2024). Brazzaville doit donc convaincre bailleurs et institutions financières que la résilience urbaine est un investissement présentant un rendement social et climatique élevé. Dans cette optique, la ministre des Finances s’apprête à déposer, auprès de la Banque africaine de développement, un dossier de 60 millions de dollars visant à étendre le projet de drainage déjà appuyé par l’AFD.
Sur le plan diplomatique, le Congo tente également de capitaliser sur la COP29, prévue à Bakou, pour plaider en faveur d’un guichet dédié aux inondations récurrentes en zone tropicale. « Nous payons le prix d’émissions auxquelles nous n’avons quasi pas contribué », a martelé le chef de la diplomatie congolaise lors du Forum de Bonn sur les changements climatiques. Un argument qui trouve un écho croissant parmi les États insulaires du Pacifique, eux aussi demandeurs d’un mécanisme de pertes et préjudices alimenté par les économies industrialisées.
Perspectives pour un urbanisme climatique résilient
Dernier volet, et non des moindres : la réforme de l’urbanisme. Le futur schéma directeur de Brazzaville, dont la version provisoire a été présentée au Sénat en avril, introduit pour la première fois une cartographie des zones inconstructibles fondée sur des modèles hydromorphologiques. Le document prévoit également l’obligation pour tout projet immobilier de compenser son empreinte imperméable par des infrastructures de stockage ou d’infiltration des eaux pluviales. Inspirée des « sponge cities » chinoises, cette orientation témoigne d’une volonté d’adapter l’expansion urbaine aux réalités climatiques régionales.
Reste à traduire ces intentions dans la pratique. Sans cadastre numérisé, la lutte contre les occupations illégales se heurte à de puissants intérêts fonciers et à la pression démographique. Pourtant, comme le rappelle la sociologue Ange Mapango, « la meilleure aide humanitaire demeure celle qui devient inutile parce que l’on a su prévenir la catastrophe ». Dans l’attente de cet horizon idéal, la mobilisation conjointe du PAM, du gouvernement et des bailleurs offre un répit aux ménages sinistrés, tout en dessinant les contours d’une gouvernance plus résiliente. Le défi sera de maintenir cette dynamique lorsque l’eau se retirera et que l’attention médiatique, elle aussi, aura baissé.