Un pas décisif pour l’inclusion scolaire
Le 23 septembre, l’Institut des jeunes sourds de Brazzaville a franchi une étape symbolique en annonçant la création d’un lycée réservé aux apprenants sourds, prévu pour l’année scolaire 2025-2026. La nouvelle a été rendue publique dans la capitale congolaise, à l’occasion de la Journée internationale des langues des signes.
Jusqu’ici, les jeunes accueillis dans cette structure se limitaient au brevet d’études techniques. L’absence d’établissements adaptés les obligeait à interrompre leur parcours, freinant aspirations personnelles et perspectives professionnelles. Le futur lycée veut combler ce vide et ouvrir la voie au baccalauréat, sésame indispensable pour poursuivre l’enseignement supérieur.
Les formations prévues
Le projet s’articule autour de quatre filières : menuiserie, couture, informatique et infographie. Selon le coordonnateur, l’abbé Christophe Junior Mbani, ces secteurs ont été retenus parce qu’ils offrent des débouchés concrets sur le marché du travail et répondent aux attentes récurrentes des familles.
Chaque filière intégrera un enseignement de la langue des signes adapté au niveau de l’élève. L’objectif est double : assurer la maîtrise d’un outil de communication essentiel et renforcer l’employabilité. Les cours théoriques seront systématiquement accompagnés d’ateliers pratiques afin de favoriser l’acquisition de compétences immédiatement mobilisables.
La langue des signes encore méconnue
Malgré les progrès enregistrés depuis la reconnaissance officielle de la langue des signes par l’ONU en 2017, l’abbé Mbani constate un manque d’engouement national. « Les Congolais n’aiment pas la langue des signes », a-t-il regretté, soulignant que même certains parents d’enfants sourds ne savent pas dire bonjour à leurs propres enfants.
Cette carence linguistique complique l’intégration sociale des personnes sourdes et limite leurs interactions quotidiennes. Le coordinateur martèle qu’apprendre la langue des signes ne relève pas seulement de la compassion mais de la citoyenneté, puisqu’il s’agit de garantir à chaque individu l’accès à l’information et aux services de base.
Des cours ouverts à tous
Pour inverser la tendance, l’Institut organise chaque samedi des séances accessibles à toute personne désireuse de se familiariser avec les rudiments de la langue des signes. Les cours accueillent élèves, parents, fonctionnaires, commerçants ou étudiants, illustrant la volonté d’élargir le cercle des signants bien au-delà du seul milieu scolaire.
L’initiative a déjà permis à plusieurs parents de renouer un dialogue plus fluide avec leurs enfants sourds. Les responsables espèrent désormais toucher d’autres publics stratégiques : agents hospitaliers, policiers ou magistrats, dont la capacité à communiquer peut transformer l’expérience quotidienne des personnes malentendantes.
Un coût supporté par les familles
Le chantier financier reste toutefois considérable. L’Institut accueille prioritairement des enfants issus de familles modestes, pour qui l’inscription fixée à 10 000 francs CFA représente déjà un effort significatif. Beaucoup peinent à réunir cette somme, à plus forte raison si plusieurs membres du foyer sont scolarisés.
La direction estime qu’une classe idéale requiert au minimum trois enseignants bénévoles, gage d’un encadrement pédagogique personnalisé. Or, trouver et fidéliser ces volontaires suppose de couvrir des coûts annexes, des transports aux matériels didactiques. Sans subventions stables, l’équilibre budgétaire demeure fragile.
Un appel à la solidarité nationale
Face à ces contraintes, l’abbé Mbani multiplie les sollicitations. Il encourage particuliers et entreprises à offrir des denrées de base, telles que riz, haricots ou huile, ainsi que du carburant indispensable au fonctionnement quotidien de l’établissement. Chaque contribution, même modeste, allège la facture supportée par les parents.
Des soutiens ponctuels ont déjà permis de renouveler une partie du mobilier et d’acquérir quelques outils de menuiserie. Néanmoins, l’arrivée d’un cycle secondaire exigera des investissements supplémentaires : salles spécialisées, équipements informatiques, manuels en version signée. Les responsables restent confiants, estimant que l’effet de levier social du projet justifie l’engagement collectif.
Vers des classes vraiment inclusives
Au-delà du lycée, l’Institut plaide pour la multiplication de classes inclusives dans l’ensemble du système éducatif congolais. Former des enseignants capables de signer apparaît, selon le coordonnateur, comme la condition sine qua non pour que l’enfant sourd ne soit plus isolé à l’intérieur même de son établissement.
Une telle orientation s’inscrit dans les objectifs internationaux de développement durable, axés sur l’éducation pour tous. Elle répond également au souci d’équité défendu par les autorités congolaises, soucieuses de promouvoir une société où chaque citoyen, quelle que soit sa différence, trouve sa place et contribue au dynamisme national.
Une journée mondiale, des enjeux locaux
La Journée internationale des langues des signes, instaurée par l’ONU, vise à sensibiliser gouvernements et opinions publiques à l’importance de ces langues. Cette année, l’accent a été mis sur leur reconnaissance comme vecteur majeur d’inclusion. À Brazzaville, la date a servi de tremplin pour rendre visible le projet de lycée.
Les organisateurs ont profité de l’événement pour rappeler que la langue des signes bénéficie déjà d’un corpus grammatical propre, d’une riche culture gestuelle et d’une communauté d’usagers attachée à sa diffusion. Son enseignement ne relève donc pas d’un simple accommodement, mais constitue un droit linguistique à part entière.
Une dynamique à consolider
L’ouverture annoncée du lycée représente un signal encourageant pour les défenseurs de l’éducation inclusive au Congo-Brazzaville. Elle prouve qu’avec de la volonté et une mobilisation locale, il est possible d’élargir l’horizon des élèves sourds sans attendre des solutions externes.
Reste désormais à transformer l’essai : planifier les travaux, recruter des formateurs, assurer le financement pérenne, puis attirer les premiers lycéens. Le calendrier 2025-2026 introduce une échéance claire qui devrait soutenir l’élan et maintenir la pression positive sur tous les partenaires.
Un avenir qui se signe à plusieurs mains
Dans les couloirs encore calmes de l’Institut, les regards se tournent vers le chantier à venir. Les élèves actuels savent qu’ils pourraient, pour la première fois, passer le baccalauréat sans quitter leur ville ni délaisser leur langue. « Nous voulons prouver que la surdité n’est pas une impasse », confie l’un d’eux.
Cette attente donne à la future structure une résonance particulière : elle incarne l’espoir d’un parcours continu, depuis la maternelle jusqu’au lycée, au sein d’un même environnement de confiance. Pour les familles, c’est la promesse d’un enfant qui grandit sans rupture, pour la société, celle d’un talent qui s’épanouit.
Le rôle catalyseur des partenaires
Les responsables de l’Institut comptent également sur les ministères concernés, les collectivités locales et les organisations internationales pour accompagner la mise en œuvre. Leur soutien pourrait se matérialiser par des subventions, des bourses ou des formations certifiantes destinées aux enseignants.
Interrogé sur la place de l’État, l’abbé Mbani rappelle que « l’éducation est un bien public ». Il se dit persuadé que l’engagement des autorités consolidera la crédibilité du projet et encouragera d’autres écoles à ouvrir des classes similaires, diffusant ainsi un modèle pionnier à l’ensemble du territoire.
Impact attendu sur l’emploi
À terme, les promoteurs espèrent que les diplômés en menuiserie, couture, informatique et infographie trouveront aisément un emploi ou créeront leur propre activité. Le tissu économique local, qui a besoin de main-d’œuvre qualifiée, pourrait bénéficier de cette nouvelle offre de compétences issues d’une formation spécialisée.
La démarche rejoint les priorités gouvernementales visant à dynamiser l’entrepreneuriat et à réduire le chômage des jeunes. En misant sur la formation professionnelle adaptée, le lycée contribuera à la diversification des profils sur le marché du travail et à l’autonomisation progressive des personnes sourdes.
Perspectives à moyen terme
Si le lycée tient ses promesses, l’Institut envisage déjà d’élargir le spectre des enseignements. Sciences appliquées, arts graphiques ou hôtellerie pourraient venir enrichir le curriculum, toujours avec la même exigence d’accessibilité linguistique. Pour l’heure, chaque étape sera évaluée afin de consolider l’existant avant toute expansion.
Cette stratégie graduelle reflète une prudence assumée. Les dirigeants veulent éviter l’écueil d’une croissance rapide sans ressources. Ils privilégient donc des partenariats solides et s’appuient sur une équipe pédagogique formée, condition indispensable à la qualité de l’enseignement délivré.
Une mobilisation à poursuivre
Au sortir de la conférence de presse, l’enthousiasme des participants ne masquait pas les défis. Le succès du futur lycée dépendra de l’engagement durable des communautés, de la générosité des donateurs et d’une reconnaissance accrue de la langue des signes comme patrimoine commun.
En attendant la rentrée 2025-2026, l’Institut poursuivra ses cours du samedi et multipliera ses actions de sensibilisation. Chaque nouveau signant, chaque denrée reçue, chaque heure de bénévolat contribuera à dessiner un avenir plus inclusif pour la jeunesse sourde de Brazzaville et, au-delà, pour l’ensemble du pays.