Contexte mondial du blanchiment de capitaux
La circulation clandestine des capitaux reste l’un des défis majeurs de la gouvernance financière mondiale, pesant sur la stabilité bancaire, la sécurité collective et la réputation des États. Sous l’impulsion du Groupe d’action financière, chaque pays est invité à démontrer une vigilance méthodique et documentée face aux flux.
Le Congo-Brazzaville, engagé dans la modernisation de son cadre légal, a adopté en 2022 une loi ambitieuse de prévention des infractions financières. Toutefois, la communauté internationale scrute également la capacité d’analyse nationale des risques, perçue comme l’indicateur-clé de la crédibilité des mécanismes de contrôle et de résilience institutionnelle.
Dans ce contexte, l’article récemment publié par Isaac Gervais Onghabat, directeur des Risques et Contrôles à la direction générale du Contrôle d’État, relance le débat sur la construction d’une cartographie nationale, outil présenté comme la pierre angulaire d’une approche par les risques réellement opérationnelle au service du public.
Son plaidoyer se fonde sur les quarante recommandations du Gafi, en particulier la première qui impose une évaluation continue des risques de blanchiment, de financement du terrorisme et de prolifération. Il propose la création d’un comité national capable de centraliser données, analyses et décisions stratégiques de haut niveau.
Pourquoi une cartographie des risques
Une cartographie n’est pas un simple tableau statistique ; elle synthétise sources de menaces, probabilités d’occurrence et impacts potentiels, afin d’orienter la détection, l’investigation et la sanction. Elle évite la dispersion des ressources publiques en hiérarchisant, de façon transparente, les secteurs les plus vulnérables aux flux financiers illicites identifiés.
Dans l’esprit d’Onghabat, la cartographie servirait également de baromètre pour l’évaluation annuelle de la conformité des institutions financières, des entreprises extractives et du secteur informel, souvent pointé comme maillon critique. Les régulateurs pourraient ainsi calibrer inspections, sanctions administratives et actions de formation ciblées sur les risques spécifiques identifiés.
Le recours à la norme ISO 31000, dont l’auteur est certifié Lead Risk Manager, apporterait un cadre méthodologique reconnu, déjà appliqué par plusieurs banques centrales africaines. Cette standardisation faciliterait le dialogue technique avec les bailleurs et renforcerait la position congolaise lors des évaluations mutuelles conduites par le Gafi régional.
Du point de vue économique, l’exercice offre aussi une valeur ajoutée tangible : les investisseurs attachent de plus en plus de poids aux indices de transparence. Une cartographie lisible rassure les partenaires étrangers et peut réduire le coût du capital pour les entreprises implantées localement dans le pays hôte.
Institutions congolaises et gouvernance coopérative
Le dispositif congolais LCB/FTP repose actuellement sur la Cellule nationale des renseignements financiers, le Trésor, la Banque centrale et l’Agence nationale d’investigation financière. Pour Onghabat, le comité proposé viendrait articuler ces entités, sans empiéter sur leurs prérogatives, via un partage sécurisé d’informations sensibles et des protocoles d’échange clairs.
En outre, l’auteur insiste sur l’importance d’un mandat politique explicite. La nomination de membres issus à la fois de la présidence, des ministères sectoriels et du secteur privé renforcerait la légitimité du comité et instaurerait une culture de responsabilité partagée, cruciale pour l’effectivité des recommandations proposées et suivies.
Le ministère des Finances rappelle toutefois que des efforts précurseurs existent déjà. Le rapport national d’évaluation des risques de 2016 avait identifié les principales failles, entraînant une mise à niveau des logiciels de surveillance bancaires. Onghabat juge ces avancées nécessaires, mais estime la mise à jour devenue urgente.
Un point fait consensus : la lutte ne saurait être cantonnée à l’État. Les banques, cabinets d’audit, notaires et acteurs des jeux de hasard devront intégrer les résultats de la cartographie dans leurs procédures internes de connaissance du client, sous peine de sanctions proportionnées à leur taille économique respective.
Ouverture régionale et perspectives
L’Afrique centrale, via le Gabac, développe depuis 2019 un mécanisme d’évaluation mutuelle similaire au Gafi. La contribution congolaise à cette dynamique régionale serait renforcée par une cartographie nationale, qui deviendrait un instrument d’influence douce lors des négociations sur l’harmonisation réglementaire et l’assistance technique entre pays de la Cémac.
À plus long terme, l’outil pourrait soutenir la stratégie de diversification de l’économie prônée par les autorités. En identifiant les secteurs à haut risque, le gouvernement aurait davantage de lisibilité pour orienter les incitations fiscales vers l’agriculture, le numérique ou le tourisme, considérés comme vecteurs d’innovation et emploi.
La Banque mondiale souligne que chaque dollar perdu dans les circuits illicites correspond à un dollar de moins pour les hôpitaux, les routes ou les écoles. Un système national de cartographie, s’il est rigoureux, pourrait générer des gains budgétaires capables de financer des chantiers sociaux prioritaires au Congo.
En définitive, la proposition d’Isaac Gervais Onghabat s’inscrit dans une trajectoire de modernisation administrative voulue par les institutions congolaises. Reste à traduire ce cadre conceptuel en plan d’action pluriannuel, doté de ressources humaines et technologiques, pour transformer la cartographie des risques en véritable outil d’anticipation et de résilience.