Un parcours qui épouse plusieurs continents
Installé depuis deux ans dans le 18ᵉ arrondissement parisien, Nolhy Cedrick Ndoudi Yimbou, alias Cedro La Loi, poursuit un itinéraire musical commencé dans les rues animées de Bacongo. Son passage de Brazzaville à Paris marque une étape charnière dans la construction d’une identité artistique cosmopolite.
Au milieu des années 2010, il cofonde avec Courageux-le-Fort, Obama et Douze Mémoires le collectif Le Clan Nuit-à-Nuit, dirigé par Lionel Bas. La formation réinvestissait les rythmes kongo, donnant aux quartiers sud une bande-son festive qui résiste encore à l’épreuve des discothèques locales.
Cette première notoriété le conduit à enchaîner de petits succès tels «Kolo kingo» ou «Wilky». Toutefois, conscient des limites d’un circuit essentiellement brazzavillois, l’artiste opte pour l’exil créatif. Paris lui ouvre des studios, des scènes-labs et une diaspora avide de sons enracinés.
La naissance de «Nzéla ya ebendé»
«Nzéla ya ebendé» naît entre deux sessions nocturnes chez Murphy Synthé et Déo Synthé, arrangeurs reconnus pour leur sens du détail. Cedro souhaitait, dit-il, «un morceau capable de raconter une histoire tout en faisant danser». L’idée du rail s’impose rapidement comme fil conducteur.
Le titre mêle lingala, kituba et français pour capter la pluralité nationale. Chaque couplet suit le trajet du Congo-Océan, citant manioc, patate douce ou banane, textures gustatives qui évoquent les haltes ferroviaires. La chanson devient ainsi un carnet de voyage sensoriel plus qu’un simple refrain.
Musicalement, l’artiste juxtapose les tambours nséké à une ligne de basse coupé-décalé, puis injecte des claviers afro-house. Ce métissage reflète la trajectoire même du train : départ rural, accélération urbaine, ouverture internationale. «Chaque instrument est une gare», explique le producteur, revendiquant un récit sans parole superflue.
Mémoire collective autour du Congo-Océan
Inauguré en 1934, le Congo-Océan porte encore les cicatrices d’un chantier colonial marqué par des milliers de morts. Cedro n’ignore pas cet héritage. Sans posture militante, il rappelle dans le pont vocal la souffrance des porteurs, «âmes coincées entre poteaux et horizon», formule reprise en chœur.
Le rappel historique s’inscrit dans une tradition congolaise où la musique dialogue avec la mémoire politique. Des sociologues de l’université Marien-Ngouabi soulignent que «chanter le rail, c’est questionner la mobilité et le développement». L’artiste participe donc à une réflexion patriotique qui dépasse le simple divertissement.
Pour autant, «Nzéla ya ebendé» ne se veut pas plainte. Le refrain, porté par une guitare highlife, invite à célébrer le chemin parcouru depuis l’indépendance et à imaginer l’extension vers le Nord. Une manière de saluer les efforts institutionnels récents en matière d’intégration territoriale, sans polémique.
Fusion sonore et ambition esthétique
Les critiques parisiens décrivent le morceau comme «une carte postale dansante». Ils notent la justesse vocale de Cedro, moins nasale que sur ses premiers enregistrements, résultat de séances de coaching respiratoire. Le mix final, confié au studio Montmartre Records, confère au titre une clarté exportable.
L’équipe mise sur un clip tourné entre la gare d’Owando et la Petite-Ceinture parisienne pour symboliser l’alliance des horizons. Les prises de vue drones, déjà teasées sur Instagram, montrent un Cedro courant sur les rails, tenors ngoma à la main, comme un passeur de mémoire.
Résonances économiques et sociales
À Brazzaville, les opérateurs culturels saluent l’initiative. Selon Alain Bampilé, directeur du Centre Art-Loango, «mettre en avant le rail, c’est encourager la relance du trafic voyageurs». Les recettes attendues des plates-formes pourraient d’ailleurs contribuer à financer des ateliers musicaux pour les jeunes riverains.
Des économistes rappellent que chaque sortie musicale génère un micro-écosystème : designers, clippeurs, régisseurs, chauffeurs. Le single devrait créer une quinzaine d’emplois temporaires entre Paris et Pointe-Noire, preuve que la culture reste un levier de diversification hors hydrocarbures, complémentaire des grands plans nationaux.
Le succès digital du «challenge de la pelle» – danse mimant la pose de rails – témoigne aussi du potentiel fédérateur du morceau. Diffusé par des influenceurs congolais et ivoiriens, le défi cumule déjà trois millions de vues. Une viralité qui renforce l’image positive du pays.
Perspectives et feuille de route
Le label I.B.N Music France annonce une sortie mondiale en septembre 2025 sur les plateformes légales, avec option vinyle pour les collectionneurs. Un mini-tour est envisagé à Brazzaville, Dolisie et Paris, afin de tester la réception intergénérationnelle et de consolider les partenariats logistiques.
Interrogé sur ses ambitions, Cedro répond sobrement : «Je veux que ma musique traverse les frontières comme le train traverse les provinces.» À court terme, il prépare un EP conceptuel consacré aux grands fleuves d’Afrique centrale, confirmant son intérêt pour les infrastructures et leur charge symbolique.
En attendant, les fans peuvent suivre l’évolution du projet sur TikTok, YouTube et Trace Congo. Chaque extrait publié ajoute un maillon à cette chaîne narrative où culture, histoire et développement s’emboîtent. «La voie est toute tracée», plaisante l’artiste, laissant présager d’autres haltes créatives.