Une présélection qui redistribue les cartes
Le rapport d’évaluation confié au cabinet Forvis Mazars a fait l’effet d’un détonateur dans les capitales d’Afrique centrale. Sur cinquante-deux candidatures retenues pour le futur collège de commissaires de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, trois profils camerounais se distinguent nettement.
En tête de liste, Jacob Kotcho Bongkwaha obtient 90,25 points sur 100 pour le portefeuille du Marché commun, des Affaires économiques, monétaires et financières. À ses côtés, Nelly Banaken Elel se positionne pour la Promotion du genre, du Développement humain et social, tandis qu’un troisième compatriote complète le trio.
Cette percée place Yaoundé devant un choix réglementaire : au sein de la CEEAC, chaque État membre ne peut prétendre qu’à un seul commissariat. Le Cameroun a donc décidé de concentrer tout son capital politique sur la conquête du Marché commun, considéré comme le cœur stratégique de l’organisation.
Les raisons d’une ambition assumée
Pour le président Paul Biya, l’intégration régionale porte un double enjeu. Sur le plan diplomatique, elle renforce l’influence d’un pays déjà moteur au sein de la CEMAC et interlocuteur privilégié de la sous-région élargie à l’Angola, au Burundi, à la République démocratique du Congo, au Rwanda et à Sao Tomé-et-Principe.
Sur le plan intérieur, la perspective de piloter l’union commerciale et financière offre un levier supplémentaire à la troisième économie de la CEEAC pour sécuriser ses chaînes de valeur et gagner en compétitivité. L’objectif est d’accélérer la libre circulation des biens et des capitaux, tout en soutenant la convergence macroéconomique.
« La vision camerounaise trouve sa cohérence dans la recherche d’un marché intégré de près de 200 millions d’habitants », confie un expert du secrétariat général de la CEEAC, rappelant que la Zone de libre-échange continentale africaine s’appuie sur des blocs régionaux solides.
Jacob Kotcho Bongkwaha, un atout maître
Âgé de 53 ans, Jacob Kotcho Bongkwaha n’est pas un inconnu à Libreville, siège de l’organisation. Depuis plusieurs années, il y dirige le département du Marché commun, rôdant ses équipes à l’examen minutieux des indicateurs de convergence budgétaire.
Docteur en économie et spécialiste du commerce international, il a contribué aux négociations de l’Accord de partenariat économique entre la Communauté d’Afrique centrale et l’Union européenne. Sa participation active aux débats fondateurs de la Zone de libre-échange continentale africaine a consolidé sa réputation d’interfaçage entre académie et pratique.
Au Cameroun, ses étudiants en diplomatie économique louent une pédagogie tournée vers la résolution concrète des asymétries commerciales. « Bongkwaha dispose d’une connaissance fine des réalités terrain et des exigences des bailleurs multilatéraux », souligne un professeur de l’Université de Yaoundé II.
Un portefeuille aux enjeux majeurs
Parmi les cinq commissariats prévus par le traité révisé de la CEEAC, celui du Marché commun concentre neuf objectifs sur quinze, allant de l’intégration commerciale à la coopération financière en passant par la future union monétaire. Il sert d’interface directe avec les partenaires techniques et financiers.
Le titulaire devra d’abord valider la mise en œuvre du tarif extérieur commun, chantier clé pour abaisser les coûts logistiques régionaux. Il lui faudra ensuite animer le mécanisme de stabilité macroéconomique, instrument destiné à préserver la soutenabilité de la dette et la conversion progressive des monnaies.
Enfin, la question sensible de la fusion éventuelle entre la zone franc CEMAC et les économies non arrimées imposera un dialogue constant avec l’Angola, la RDC et les bailleurs. Autant d’arguments qui expliquent la mobilisation camerounaise derrière son candidat numéro un.
Étapes finales et arbitrages politiques
La première session de négociations s’est tenue du 5 au 7 septembre 2025 à Malabo. Les capitales doivent désormais faire valoir leurs préférences avant la phase ultime, programmée dans les prochaines semaines, où un consensus sera recherché entre les onze États membres.
Selon plusieurs sources proches du dossier, des compromis pourraient émerger autour d’échanges de soutiens croisés, pratique courante dans les organisations régionales. Le Cameroun privilégierait des alliances avec le Gabon et la Centrafrique, tandis que l’Angola défend ses prétentions sur le portefeuille de l’Énergie.
Libreville, siège institutionnel et capitale de la République du Congo voisine, souhaite une résolution rapide pour maintenir le calendrier de transition vers la nouvelle commission d’ici la fin de l’année. Si Jacob Kotcho Bongkwaha demeure favori, le résultat final dépendra de l’équilibre subtil des influences régionales.