Le défi d’une dépendance mature
Quarante ans d’exploitation pétrolière ont fait du Congo-Brazzaville un acteur reconnu du golfe de Guinée, avec des recettes qui assurent encore près de la moitié des revenus budgétaires. Le ministère des Finances rappelle que la manne de l’or noir demeure le principal amortisseur macroéconomique face aux soubresauts des marchés internationaux. Toutefois, la volatilité des cours, conjuguée à l’impératif global de réduction des émissions, impose une réévaluation des trajectoires de développement. « Le pétrole nous a permis de stabiliser les grands équilibres, mais il ne saurait constituer une destinée », confiait récemment un haut fonctionnaire de la direction générale de l’Économie. Ce constat n’est pas une remise en cause de la stratégie de production – Brazzaville négocie encore avec TotalEnergies pour valoriser de nouveaux gisements – mais l’amorce d’une réflexion à long terme sur l’après-pétrole.
Une consultation sociétale inédite
C’est dans cette conjoncture que la Rencontre pour la paix et les droits de l’homme (RPDH) a réuni, les 10 et 11 juillet, responsables ministériels, opérateurs privés, communautés locales et chercheurs autour d’une table ronde nationale. Appuyé techniquement par Energy Transition Fund et financé par Rockefeller Philanthropy Advisors, le projet « Préparer l’après au Congo » (PapCo) entend produire un diagnostic partagé des opportunités sectorielles hors hydrocarbures. L’initiative se distingue par son approche participative : chacun – agriculteurs de la Cuvette, start-up numériques de Pointe-Noire, syndicalistes ou experts climatologues – a pris la parole pour exprimer attentes et réserves. La méthode tranche avec les ateliers institutionnels classiques ; elle vise à ancrer la future feuille de route dans des réalités territoriales perçues par les premiers intéressés.
Entre volontarisme étatique et attentes du secteur privé
Le gouvernement, représenté par le ministère du Développement industriel, a rappelé sa stratégie de diversification articulée autour de l’agro-industrie, de la transformation du bois et du numérique. Dans le même temps, les entrepreneurs réunis au sein de l’Union patronale ont souligné la nécessité d’un cadre réglementaire stable et d’infrastructures logistiques fiables. « La compétitivité hors pétrole passera par la baisse du coût de l’énergie et une fiscalité incitative », a insisté un dirigeant de zone économique spéciale. L’État se veut à l’écoute : des incitations fiscales figurent déjà dans la loi de finances 2024, tandis que la Banque publique d’investissement examine des lignes de crédit dédiées aux filières cacao et tourisme. Cette articulation public-privé témoigne d’un pragmatisme : préserver la contribution pétrolière dans l’immédiat, tout en balisant des sentiers d’émergence pour des secteurs porteurs.
Transition énergétique : le paramètre social
Au-delà des chiffres de production, la transition énergétique soulève un enjeu sociologique majeur : garantir une répartition équitable des fruits de la croissance future. Les représentants de la société civile ont insisté sur la formation professionnelle, afin que les travailleurs des plateformes pétrolières puissent se repositionner vers les énergies renouvelables ou les services. De son côté, le ministère de l’Enseignement technique a annoncé la création de modules sur la maintenance solaire dans plusieurs lycées. Le directeur Afrique centrale de l’Organisation internationale du Travail observe que cette requalification constitue « le maillon critique pour éviter une fracture sociale ». Ainsi, la table ronde a acté le principe d’un fonds de transition sociale abondé par une fraction des recettes futures issues du brut, mécanisme jugé vertueux pour aligner impératifs climatiques et justice territoriale.
Vers un agenda commun post-pétrole
Les travaux ont abouti à un avant-projet de feuille de route structuré autour de trois horizons : court terme (2024-2026) pour consolider l’exploration de niches exportatrices comme le café-robusta et le gaz domestique comprimé ; moyen terme (2026-2030) pour industrialiser la chaîne bois-meuble et déployer des fermes solaires pilotes ; long terme (2030-2040) pour inscrire le Congo dans les corridors d’hydrogène vert envisagés à l’échelle continentale. Chaque segment comporte des indicateurs de suivi partagés par la primature et les partenaires techniques. Selon la RPDH, « l’enjeu n’est pas d’opposer pétrole et renouvelables, mais d’orchestrer une cohabitation ordonnée avant le passage de relais ». Cette démarche graduelle limite les risques macroéconomiques tout en répondant aux engagements pris dans les Contributions déterminées au niveau national (CDN).
Regards diplomatiques sur un cas d’école régional
Les observateurs internationaux notent que la démarche congolaise s’inscrit dans le sillage de la Déclaration de Brazzaville sur les bio-énergies adoptée en 2021. Plusieurs chancelleries, dont celles de l’Union européenne et du Japon, ont salué un « exemple constructif de préparation concertée ». Pour les bailleurs, la capacité de Brazzaville à concilier augmentation prudente de la production pétrolière et engagements climatiques renforce sa crédibilité sur la scène multilatérale. Un diplomate africaniste nuance toutefois : « Le véritable test sera la mise en œuvre territorialisée des réformes ». L’administration congolaise, forte du soutien politique du président Denis Sassou Nguesso, assure que la cohérence des politiques publiques restera la boussole. À terme, la table ronde PapCo pourrait ainsi préfigurer un modèle adaptable à d’autres économies africaines de rente, désireuses de se réinventer sans rupture brutale.