La cohésion nationale au prisme des disparités régionales
Dans un pays à la topographie contrastée, où la densité démographique passe de plus de 300 habitants au km² dans certaines communes littorales à moins de 5 dans les districts forestiers du Nord, les déséquilibres territoriaux constituent un enjeu de gouvernance majeur. Selon la dernière enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages, près de 70 % des ménages urbains disposent d’un accès régulier à l’électricité contre 28 % seulement en milieu rural. Pour de nombreux observateurs, cette disparité ne relève pas uniquement d’un retard d’infrastructures ; elle interroge la capacité de l’État à garantir l’égalité républicaine entre ses citoyens, condition première de la stabilité sociopolitique.
La présidence congolaise en est consciente. À l’instar du souverain marocain dans son récent discours commémoratif, le chef de l’État Denis Sassou Nguesso a rappelé à plusieurs reprises que « tout progrès macro-économique n’a de sens que s’il irrigue chaque village, chaque famille ». Ce rappel, martelé lors des Conseils des ministres consacrés aux budgets d’investissement 2024, sert désormais de ligne de conduite stratégique.
Du Plan national de développement à la territorialisation des politiques publiques
L’architecture institutionnelle congolaise a franchi un cap avec le Plan national de développement 2022-2026, qui consacre 35 % de ses dotations aux projets à fort impact local. Le ministère de l’Économie, du Plan, de la Statistique et de l’Intégration régionale a identifié 54 zones prioritaires dont 18 pôles ruraux à désenclaver en urgence. Sous l’impulsion du Premier ministre, une matrice de suivi trimestriel croise désormais indicateurs sociaux, avancées physiques des chantiers et retombées économiques, dans une logique inspirée de la « performance-based budgeting ».
L’universitaire Mireille Tchicaya voit dans cette évolution « une mutation culturelle dans la gestion publique : le territoire n’est plus perçu comme un simple réceptacle d’investissements mais comme un acteur à part entière de la création de valeur ». Le fonds d’aménagement et d’équipement des collectivités, abondé à hauteur de 80 milliards de francs CFA pour l’exercice en cours, finance prioritairement l’accès à l’eau potable, la réhabilitation des pistes agricoles et la digitalisation des services d’état civil.
Le rôle structurant des investissements énergétiques et numériques
Pour réduire la fracture géographique, l’exécutif mise notamment sur l’énergie et le numérique. La mise en service du barrage hydroélectrique de Liouesso, couplée à la ligne haute tension Ouesso-Brazzaville, ouvre la perspective d’un maillage électrique nord-sud jamais atteint. Parallèlement, la poursuite du « Backbone national » en fibre optique permet à des préfectures longtemps isolées, telles que la Sangha ou la Cuvette-Ouest, d’accéder à l’internet haut débit, catalyseur d’initiatives entrepreneuriales locales.
Le sociologue Jean-Eudes Ondongo note toutefois que « l’infrastructure reste condition nécessaire mais non suffisante ; sans ingénierie sociale et formation, le risque est de créer de nouvelles formes d’exclusion basées sur la maîtrise technologique ». Cette mise en garde rejoint les orientations récemment adoptées par le ministère des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, qui prévoit l’implantation de 36 centres d’inclusion digitale communautaires d’ici 2025.
Justice sociale : fiscalité locale et redistribution ciblée
La réduction des disparités passe aussi par une révision des mécanismes de redistribution. Dans ce registre, la réforme imminente de la fiscalité locale prévoit une fraction de la taxe sur la valeur ajoutée fléchée vers les communes de moins de 20 000 habitants. Ce dispositif, validé par le Parlement, devrait renforcer l’autonomie budgétaire des petites collectivités, tout en réduisant la dépendance aux transferts centraux.
Par ailleurs, le programme de filets sociaux « Lisanga » élargi à 75 000 nouveaux ménages vulnérables démontre la volonté de bâtir une réponse sociale fondée sur des critères objectifs de pauvreté multidimensionnelle. Les premières évaluations évoquent un recul de 6 points du sous-emploi dans les zones ciblées, notamment grâce à l’effet multiplicateur des transferts monétaires sur l’économie informelle locale.
Anticiper les chocs climatiques et sécuritaires
Le Congo, comme nombre d’États forestiers, est exposé à des aléas climatiques susceptibles d’exacerber les inégalités spatiales. Les inondations récurrentes dans le bassin de la Likouala désorganisent les circuits d’approvisionnement en vivres, tandis que la sécheresse dans la Bouenza pèse sur les rendements agricoles. Conscient de cet enjeu, le gouvernement inscrit la résilience climatique au cœur de la stratégie territorialisée. Le centre national d’alerte précoce, inauguré en février, collecte en temps réel des données hydrométéorologiques pour déclencher des plans d’évacuation coordonnés avec les autorités locales.
Sur le plan sécuritaire, le partenariat renforcé avec la CEEAC en matière de surveillance aux frontières vise à protéger les zones rurales d’éventuelles infiltrations criminelles qui freinent l’investissement. Au-delà de la protection, ce dispositif rassure les investisseurs privés, indispensables pour amplifier la dynamique de développement régional.
Vers une gouvernance inclusive et concertée
La réussite de l’équité territoriale repose enfin sur la participation citoyenne. La prochaine révision du Code des collectivités, actuellement en phase de consultation, entend faciliter le contrôle populaire des budgets locaux et instaurer un mécanisme de pétition communale. À douze mois des élections locales, plusieurs partis de la majorité comme de l’opposition reconnaissent qu’une saine compétition électorale peut constituer un accélérateur de projets structurants, à condition d’éviter la surenchère promise-non-tenue.
L’économiste Samuel Mavoungou résume l’enjeu : « Le Congo doit passer d’une culture de l’annonce à une culture de la preuve. Le capital politique se construira désormais sur la capacité des élus à matérialiser des améliorations tangibles dans la vie quotidienne de leurs concitoyens ». Un cap qui, s’il est maintenu, pourrait inscrire durablement le pays dans la trajectoire des États à développement humain élevé.