La fin de l’illusion pétrolière, début d’une ère fiscale
Quarante ans de rente pétrolière ont façonné l’idée, largement répandue à Brazzaville, que les transferts budgétaires de l’État suffiraient à irriguer les communes. Or la pandémie puis les fluctuations des cours mondiaux ont rappelé, avec une brutalité presque pédagogique, la fragilité d’un modèle où le baril sert de bouée financière. Le ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation, aiguillonné par la Banque mondiale, a donc convié le 26 juin dernier un aréopage d’élus, de comptables publics et de représentants d’ONG pour imaginer une fiscalité locale qui ne dépende plus des sables bitumineux mais des assiettes imposables du territoire.
Un diagnostic précis du terrain congolais par la Banque mondiale
L’atelier s’inscrit dans le prolongement d’une étude conduite en 2022, « Progrès et priorités dans la décentralisation au Congo », qui avait dressé un constat sans fard : faible lisibilité des flux financiers, compétence fiscale morcelée et contrôle embryonnaire. « La question n’est pas d’ajouter des taxes mais de construire de la confiance », résume un expert de la Banque mondiale, rappelant que seule la moitié des taxes foncières théoriquement dues est effectivement recouvrée dans le pays.
Brazzaville et Pointe-Noire, laboratoires des nouvelles recettes
Les deux principales agglomérations congolaises concentrent à elles seules plus de la moitié du potentiel fiscal national, d’où la volonté affichée de les traiter comme des pilotes. À Brazzaville, la numérisation de la chaîne de paiement des impôts locaux devrait être testée dès septembre, tandis que Pointe-Noire expérimente un guichet unique pour les taxes commerciales. Ces mesures visent à réduire les coûts de transaction, mais surtout à rassurer un tissu entrepreneurial souvent défiant à l’égard du fisc.
Transparence budgétaire : pierre angulaire de la crédibilité
Les participants ont longuement débattu du principe, cardinal mais encore théorique, de séparation ordonnateur/comptable. « Le contribuable paiera davantage s’il sait qui décide et qui contrôle », a insisté Séraphin Ondélé, directeur de cabinet du ministre. La Banque mondiale pousse pour un double affichage, comptable et budgétaire, inspiré du référentiel de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, afin de tracer chaque franc collecté jusqu’au dernier kilomètre de route entretenu. L’enjeu n’est plus seulement financier : il touche à la légitimité même des autorités locales.
Le facteur humain, talon d’Achille ou levier décisif
Pour passer des recommandations aux actes, un renforcement massif des capacités est prévu. Les agents territoriaux, souvent formés à la logique de contrôle a posteriori de l’État central, devront s’approprier des outils d’analyse de la performance et des logiciels de comptabilité en partie double. Le canevas de formation qui sortira de l’atelier inclut des sessions trimestrielles et un tutorat à distance assuré par des experts de la Banque mondiale. « Sans fonctionnaires formés, aucun logiciel n’empêchera la fraude », prévient un magistrat financier présent aux travaux.
Un calendrier de réformes sous l’œil attentif des bailleurs
Les collectivités disposeront, dès le quatrième trimestre 2024, d’un tableau de bord public recensant leurs principales recettes et dépenses. Ce tableau devra être alimenté mensuellement, condition pour libérer certains décaissements de prêt de la Banque mondiale. En toile de fond, les diplomaties occidentales observent avec intérêt ce laboratoire congolais : la réussite du processus pourrait servir de référence à d’autres États d’Afrique centrale confrontés aux mêmes tensions budgétaires. Si l’autonomie financière locale progresse, elle pourrait rebattre les cartes du jeu politique national en rééquilibrant les relations entre pouvoirs central et périphérie.
Vers une architecture fiscale plus résiliente
Au terme de trois journées de débats parfois âpres, un consensus prudent s’est dessiné : renforcer la prévisibilité des transferts, clarifier les compétences fiscales et publier, chaque année, les comptes des collectivités. L’ambition affichée est de porter la part des recettes propres dans le budget communal de 8 % aujourd’hui à 20 % d’ici 2028. Plus qu’un objectif chiffré, c’est un indicateur de maturité institutionnelle. Car, selon la formule d’un participant, « sans ressources maîtrisées localement, la décentralisation n’est qu’une adresse postale ».