Le sacre discret de deux prodiges
Dans l’euphorie contenue du stade d’Accra, la finale continentale 2024-2025 du Championnat Africain de Football Scolaire a révélé deux visages que l’on n’oubliera plus : la Ghanéenne Jennifer Awuku et le Sénégalais Souleymane Commissaire Faye. Sitôt la dernière passe délivrée, la Confédération africaine de football leur a décerné le titre convoité de « Joueur du Tournoi » dans leurs catégories respectives. La distinction, modeste en apparence, s’accompagne d’un privilège rare : devenir ramasseurs de balles lors de la Coupe d’Afrique des Nations Maroc 2025, l’une des vitrines les plus médiatisées du sport continental.
Au-delà des projecteurs, la dimension éducative de la récompense prime. Les deux lauréats seront accompagnés par un tuteur légal et bénéficieront d’un programme de découverte culturelle conçu par la CAF et son partenaire majeur, TotalEnergies. L’opération repose sur une idée simple : inculquer aux adolescents l’éthique du très haut niveau, tout en leur offrant un passeport vers un réseau professionnel transnational qui dépasse largement les bornes d’un terrain de football.
Accra consacre une nouvelle génération
La capitale ghanéenne n’a pas été choisie au hasard. Carrefour ouest-africain, la ville d’Accra s’impose comme un laboratoire social où les infrastructures scolaires et sportives convergent. Les statistiques de la CAF font état d’une hausse de 27 % des licences scolaires sur les trois dernières années, un indicateur qui témoigne d’une démocratisation progressive du football d’élite dans la tranche 13-17 ans.
En coulisses, la Fédération ghanéenne multiplie les partenariats avec les rectorats et les municipalités. Pour Véron Mosengo-Omba, Secrétaire général de la CAF, « le choix d’Accra traduit une volonté d’ancrer nos compétitions dans des cités où terrain d’entraînement et salle de classe dialoguent ». Cet ancrage local donne corps à une géopolitique du sport où l’éducation devient une composante stratégique de la compétitivité nationale.
Le Maroc, horizon des ambitions panafricaines
La perspective de la CAN 2025 au Maroc constitue un tremplin supplémentaire pour Awuku et Faye. Le royaume chérifien, auréolé d’investissements massifs dans les infrastructures sportives, entend convertir l’événement en vitrine du soft power africain. Les jeunes lauréats y incarneront une Afrique en quête de nouveaux récits de réussite, forgeant des ponts symboliques entre l’Afrique de l’Ouest, le Maghreb et le reste du continent.
Selon une projection du Comité d’organisation marocain, plus de 15 000 bénévoles, encadrés par des coaches pédagogiques, seront mobilisés. Cette chaîne humaine devrait produire un capital social durable, amplifié par les plateformes numériques de la CAF où les portraits d’Awuku et de Faye seront diffusés comme des récits inspirants, à la croisée du sport et de l’ascension sociale.
TotalEnergies, un mécène stratégique
Le partenariat renouvelé entre la CAF et TotalEnergies alimente un débat sur le rôle des multinationales dans la gouvernance sportive africaine. Pour Martin Bertran, vice-président Marque et Sponsoring, « investir dans la jeunesse, c’est investir dans la stabilité et la croissance futures des marchés africains ». L’argument est économique, mais la rhétorique se veut humaniste, rappelant que la Fondation TotalEnergies a financé près de 3 000 bourses d’études ces cinq dernières années.
Sous l’angle politique, la présence d’un opérateur énergétique français dans un projet panafricain confirme l’émergence d’un mécénat d’influence où l’entreprise se positionne comme acteur diplomatique. Les observateurs notent que la marque assume sa visibilité, mais accepte aussi de se soumettre aux objectifs de la CAF : mixité, inclusion et formation continue. L’atelier de création de contenu numérique organisé en marge du tournoi, qui a formé huit adolescents aux rudiments du journalisme sportif, illustre cette convergence entre communication d’entreprise et service public éducatif.
Football scolaire et diplomatie sportive
Adoubé par l’Union africaine, le football scolaire se promeut désormais comme instrument de diplomatie douce. Les ministères de l’Éducation et des Sports de 21 pays, dont le Congo-Brazzaville, ont signé depuis 2022 des protocoles d’entente pour harmoniser les calendriers scolaires avec les compétitions inter-lycées. L’objectif est double : prévenir l’absentéisme et renforcer la cohésion régionale par des échanges d’équipes et de bonnes pratiques pédagogiques.
Sur le plan sociologique, cette politique dessine un espace public adolescent transnational. Les communautés virtuelles qui se forment autour des retransmissions en direct consolident un sentiment d’appartenance panafricain, sans effacer les identités nationales. L’universitaire camerounais Célestin Tchameni y voit « une fabrique d’ambassadeurs culturels informels capables de déconstruire les clichés sur le continent, un tweet à la fois ».
Synergies régionales, focus sur Brazzaville
À Brazzaville, les autorités sportives s’inspirent déjà du modèle ghanéen. Le Centre national de formation de Kintélé, inauguré en 2021, a accueilli cette année un stage de perfectionnement pour 120 éducateurs, dont plusieurs ont observé la compétition d’Accra. L’idée, selon un responsable du ministère congolais des Sports, est de « connecter les académies locales aux écosystèmes de la CAF afin de fluidifier les passerelles vers l’enseignement supérieur sportif ».
Cette dynamique, loin d’être cantonnée à la capitale congolaise, nourrit une circulation des savoirs sportifs entre les rives du fleuve Congo et les côtes atlantiques. Elle confirme la capacité du football à transcender les frontières linguistiques et à catalyser des projets de diplomatie économique, enjeu que le gouvernement congolais place au cœur de sa stratégie d’insertion régionale.
Cap sur 2025, la jeunesse en première ligne
Alors que s’esquisse déjà la feuille de route post-CAN, la CAF se dit déterminée à prolonger la logique de l’excellence scolaire dans les compétitions U-17 et U-20. Un fonds dédié, alimenté par les droits télévisuels et les contributions de partenaires privés, dotera les académies nationales d’outils d’analyse de performance comparables à ceux des grandes ligues européennes.
Pour Jennifer Awuku et Souleymane Commissaire Faye, l’aventure ne fait que commencer. Leur rôle de ramasseurs de balles, s’il paraît modeste, leur ouvrira l’accès aux coulisses de la haute compétition. Dans l’imaginaire des milliers de collégiens qui suivront leurs gestes depuis Brazzaville, Dakar ou Accra, ces deux prénoms deviendront le symbole d’une promesse : celle d’une Afrique qui façonne sa relève à l’intersection du sport, du savoir et d’une diplomatie volontairement inclusive.