Un héritage conciliaire encore en jachère
Au cœur du concile Vatican II, les Pères ont voulu redonner souffle à la vie ecclésiale en restaurant le diaconat permanent comme degré autonome du sacrement de l’ordre. Plus de cinquante ans plus tard, la mesure est globalement reçue, mais son enracinement reste contrasté.
En Afrique centrale, la réception demeure discrète. Au Congo-Brazzaville, la figure du diacre permanent apparaît comme une promesse encore largement inexploitée, malgré les appels des textes conciliaires à une Église plus proche des réalités humaines et sociales.
La timidité relève moins d’une opposition doctrinale que d’une hésitation pastorale. Dans un contexte où le presbytérat garde un prestige historique, la nouveauté du diaconat permanent interroge la structuration classique des ministères et soulève des questions d’identité ecclésiale.
Mgr Ernest Kombo, pionnier discret à Owando
À la fin des années 1990, Mgr Ernest Kombo, alors évêque d’Owando, pressent l’intérêt du diaconat permanent pour son diocèse vaste et rural. Il ordonne une première promotion de diacres, souvent des pères de famille insérés dans la vie professionnelle.
Son initiative se voulait pragmatique : multiplier les relais pastoraux capables de présider certaines célébrations, d’animer la charité paroissiale et d’accompagner les communautés éloignées. Cette vision rejoignait les attentes locales en matière d’encadrement spirituel et social.
Pourtant, après son départ, le programme s’essouffle. Ni Owando ni les autres diocèses ne pérennisent le dispositif. L’élan prophétique du prélat trouve peu de relais épiscopaux, laissant le projet à l’état de parenthèse prometteuse.
Comprendre la logique polaire du ministère ordonné
Les théologiens parlent d’une « approche polaire » pour décrire les trois degrés de l’ordre – épiscopat, presbytérat et diaconat – comme des pôles en interaction et non une simple échelle hiérarchique. Chaque pôle porte un charisme propre qu’il partage avec les deux autres.
Ainsi, l’évêque, le prêtre et le diacre se définissent mutuellement. L’autorité, le culte et le service circulent entre eux dans un mouvement rythmique qui empêche toute fixation rigide. Sans le diacre, la polarité risque de se déséquilibrer vers une conception pyramidale.
Redécouvrir cette dynamique aiderait l’Église congolaise à considérer le diaconat permanent non comme un « presbytérat au rabais », mais comme un ministère distinct, apte à révéler la dimension servante de la mission, au bénéfice de l’ensemble du Peuple de Dieu.
Diacre permanent, vocation de service dans la cité
Ordonné non pour célébrer principalement l’Eucharistie, mais pour signifier le Christ-Serviteur, le diacre permanent vit souvent un double enracinement : marié, engagé dans un métier, il porte l’autel et la rue dans une même prière.
Cette figure rejoint les attentes contemporaines d’une Église plus incarnée. Les baptisés reconnaissent dans le diacre un visage familier, capable de faire le pont entre la liturgie dominicale et les préoccupations quotidiennes : solidarité, formation, dialogue avec les autorités locales.
La présence stable d’un ministre ordonné, ne dépendant pas d’affectations curiales, renforcerait l’articulation entre annonce, célébration et action sociale. Elle témoignerait aussi que le service n’est pas un simple appendice caritatif, mais le cœur même de la mission ecclésiale.
Freins culturels et pastoraux persistants
Plusieurs raisons expliquent la réserve des évêques. Le clivage traditionnel entre clercs célibataires et laïcs mariés complique la perception d’un clerc marié. Certains craignent une confusion des rôles ou une comparaison salariale avec les prêtres.
À cela s’ajoute le sentiment que les besoins pastoraux immédiats sont couverts grâce à un vivier presbytéral encore fourni. Les séminaires conservent une fréquentation soutenue, d’où une moindre urgence à diversifier les ministères ordonnés.
Enfin, les fidèles eux-mêmes peinent à identifier la spécificité du diacre. Dans l’imaginaire collectif, celui qui prêche doit pouvoir célébrer l’Eucharistie. Expliquer une fonction intermédiaire exige donc un effort catéchétique soutenu.
Relancer la dynamique : pistes pour l’avenir
La célébration récente du 140ᵉ anniversaire de l’évangélisation du Congo-Brazzaville a rouvert le débat sur la créativité pastorale. Dans cet élan, plusieurs jeunes évêques évoquent la possibilité de relancer des programmes de formation diaconale adaptés aux réalités urbaines et rurales.
Une démarche concertée au sein de la Conférence épiscopale permettrait d’élaborer un cadre commun : critères de sélection, accompagnement des épouses, articulation avec les conseils paroissiaux. L’implication des instituts de formation théologique locaux garantirait une préparation solide.
Valoriser les témoignages des premiers diacres d’Owando aiderait à convaincre les communautés. Ceux-ci restent disponibles pour partager leurs expériences et éclairer les enjeux, illustrant que le diaconat permanent n’est pas un concept importé, mais une réalité déjà enracinée.
Enfin, en déployant ce ministère, l’Église congolaise honorerait l’appel du pape François à promouvoir la synodalité : tous marchent ensemble, chaque charisme trouve sa place, et le service devient le langage commun qui relie la liturgie aux attentes sociales.