Kintélé, carrefour énergétique africain
Sous un ciel équatorial encore chargé par les premières pluies de saison, Kintélé, banlieue moderne de Brazzaville, a accueilli fin octobre puis début novembre 2025 la 25ᵉ session du Conseil exécutif et la 48ᵉ réunion ministérielle de l’Organisation des producteurs de pétrole africains.
En mobilisant ministres, experts et délégations de treize pays, la République du Congo a transformé son centre de conférences en véritable agora du baril, confirmant une diplomatie énergétique que Brazzaville cultive avec constance depuis la réforme interne de l’Appo engagée en 2018.
Passation de témoin entre Congo et Côte d’Ivoire
Point d’orgue des travaux, la passation de témoin a vu le ministre congolais des Hydrocarbures, Bruno Jean-Richard Itoua, remettre la présidence 2026 de l’organisation à son homologue ivoirien des Mines, du Pétrole et du Gaz, Mamadou Sangafowa-Coulibaly.
« L’esprit d’unité et de professionnalisme qui a guidé ces réunions doit continuer à inspirer notre action », a insisté le dirigeant sortant dans son discours d’ouverture, saluant un consensus obtenu sans heurts sur les priorités budgétaires et réglementaires de la plateforme.
Un trio dirigeant à l’équilibre régional
La nouvelle équipe directrice ménage un équilibre régional assumé : la vice-présidence revient à la République démocratique du Congo avec la ministre d’État Acacia Bandubola Mbongo, tandis que le secrétariat général sera confié à l’Algérien Farid Ghezali pour la période 2026-2028.
Les ministres ont salué le bilan du secrétaire général sortant, le Nigérian Omar Farouk Ibrahim, crédité d’avoir restauré la crédibilité internationale de l’Appo malgré la pandémie de Covid-19 et l’extrême volatilité des marchés.
Banque africaine de l’énergie : cap sur le lancement
Parmi les dossiers qui ont aimanté l’attention, la Banque africaine de l’énergie, projet-phare soutenu par Brazzaville, franchit un seuil décisif : 70 % des 500 millions de dollars de capital initial sont déjà souscrits, a annoncé Bruno Jean-Richard Itoua devant ses pairs.
Le bâtiment qui doit abriter le siège, à proximité immédiate du nouveau quartier d’affaires de Kintélé, serait achevé à plus de 90 %. Les premières opérations de la banque sont annoncées avant la fin de l’année, signe d’un calendrier strictement respecté.
En misant sur une institution financière continentale dédiée aux hydrocarbures, l’Appo entend garantir des guichets stables de financement alors que les investisseurs internationaux s’orientent vers le bas carbone, un repositionnement que les États africains jugent parfois trop brutal.
Selon plusieurs observateurs présents à Kintélé, la BAE pourrait rapidement devenir l’outil privilégié pour financer raffinage, pipelines transfrontaliers et projets d’hydrogène, autant de segments souvent jugés trop risqués par les bailleurs traditionnels.
Transition énergétique et contenu local
Au-delà des questions de gouvernance, la transition énergétique a nourri des échanges nourris. Plusieurs délégations ont rappelé que le gaz naturel, abondant sur le continent, pouvait servir de combustible de transition tout en soutenant l’industrialisation et l’accès à l’électricité.
Les ministres ont aussi insisté sur la valeur ajoutée locale : renforcement des capacités des entreprises africaines, transfert de technologies et politiques de contenu local harmonisées. L’objectif est de retenir davantage de richesses sur le sol africain à chaque baril produit.
Sur ce point, le secrétaire exécutif ivoirien Bienvenu Essé Kouamé a exhorté les membres à regarder au-delà des agendas nationaux pour bâtir une véritable unité énergétique africaine, rappelant que « le pari de la transformation se gagne ensemble ou ne se gagne pas ».
D’autres voix ont insisté sur la nécessité d’accélérer la recherche sur les biocarburants adaptés aux climats tropicaux.
Un salon pour consolider le leadership de Brazzaville
En marge des réunions, le Congo a accueilli du 4 au 7 novembre le Salon africain sur le contenu local, Cecla 2025, dans l’enceinte du Grand Hôtel de Kintélé. Les deux évènements combinés ont attiré investisseurs, start-up et institutions régionales.
Les stands interactifs ont mis en avant innovations numériques pour la traçabilité des produits pétroliers, solutions de recyclage des torchères et programmes de formation destinés aux jeunes ingénieurs centrafricains, gabonais ou camerounais. Un foisonnement salué par les organisateurs comme marqueur d’un écosystème en pleine mutation.
Pour Brazzaville, l’enjeu dépassait la vitrine technologique : il s’agissait d’inscrire dans la durée l’image d’un hub pétrolier capable de fédérer ses pairs autour d’initiatives concrètes, tout en soutenant la ambition présidentielle d’une souveraineté énergétique inclusive.
Perspectives 2026 : unité et pragmatisme
Les participants sont repartis avec un calendrier serré. Au premier trimestre 2026, la nouvelle présidence ivoirienne doit présenter un rapport sur l’harmonisation des cadres de contenu local, tandis que le secrétariat général algérien détaillera les modalités opérationnelles de la Banque africaine de l’énergie.
La vice-présidence confiée à la RDC devra, elle, piloter une étude sur les débouchés régionaux du gaz afin d’améliorer l’intégration des réseaux et de réduire les importations de produits raffinés, enjeu sensible pour plusieurs économies d’Afrique centrale.
À l’heure de la photo de famille, Bruno Jean-Richard Itoua a résumé l’esprit de Kintélé : « Nous passons le relais, mais notre engagement reste entier. L’Afrique du pétrole continuera de parler d’une seule voix dans les forums mondiaux ». Un cap désormais partagé.
