Un message axé sur la paix et la souveraineté
Le 15 août, depuis la place des congrès, Denis Sassou Nguesso a célébré le soixante-cinquième anniversaire de l’indépendance par une allocution courte, dense et essentiellement centrée sur la préservation de la paix dans un environnement international jugé « turbulent ».
Pour le chef de l’État, la multiplication des foyers de conflits en Afrique et ailleurs menace les chaînes d’approvisionnement, renchérit les importations et retarde la sortie d’une conjoncture économique déjà grevée par la pandémie et les chocs pétroliers successifs.
Dans un passage remarqué, il a invité la population à « se serrer les coudes », saluant l’effort de résilience des entreprises locales et la discipline budgétaire grâce auxquelles les comptes publics s’équilibrent progressivement, malgré une dette encore lourde et une démographie croissante.
Les clivages de la réception politique
Sitôt le micro coupé, les principales formations d’opposition ont convoqué la presse. Le Mouvement républicain de Destin Gavet estime que la paix ne peut être proclamée lorsqu’une partie des ménages vit sous le seuil de pauvreté absolue et peine à s’acheter les produits de première nécessité.
Clément Miérassa, autre figure critique, situe la tranquillité publique au confluent de la stabilité sécuritaire et de l’équité sociale. Selon lui, l’atonie du marché de l’emploi nourrit frustrations et migrations internes qui, à long terme, fragilisent la cohésion nationale.
La majorité parlementaire, par la voix du député Paul Ganongo, conteste cette grille de lecture. Elle rappelle que le budget 2024 consacre plus de 40 % des dépenses au social et que les projets agricoles structurants visent justement à réduire la dépendance alimentaire.
Paix et croissance : des indicateurs contrastés
Derrière le débat politique, plusieurs cabinets de conseil soulignent des indicateurs encourageants. La croissance non pétrolière devrait atteindre 4 % en 2024 contre 3,2 % l’an passé, portée par la relance de la Zone économique spéciale de Pointe-Noire et l’essor du numérique.
Le Fonds monétaire international, partenaire technique depuis 2019, note cependant que la soutenabilité de la dette exige la poursuite des réformes fiscales et la transparence dans la gestion des entreprises publiques, des points régulièrement évoqués par le chef de l’État dans ses interventions.
Pour Marie-Rosine Okemba, économiste à l’université Marien-Ngouabi, « la paix intérieure constitue un atout compétitif rarement intégré dans les calculs macroéconomiques ». Elle estime que la maîtrise de l’inflation et la sécurisation des couloirs commerciaux pourraient faire gagner un point de croissance supplémentaire.
Le calendrier électoral sous observation
Le discours n’a pas levé le voile sur les intentions présidentielles pour 2026. Dans les cercles diplomatiques, on observe que Denis Sassou Nguesso privilégie pour l’instant la consolidation des engagements régionaux, notamment la médiation dans la crise soudano-tchadienne, plutôt que les considérations électorales.
La Commission électorale, de son côté, poursuit la révision des listes en impliquant les partis et la société civile. Plusieurs observateurs saluent la mise à disposition, pour la première fois, d’un portail public où chaque citoyen peut vérifier son inscription et signaler les doubles enregistrements.
Selon le constitutionnaliste André Bopaka, ce mécanisme « renforce la confiance et réduit la tentation de la violence électorale ». Il rappelle que, dans le Bassin du Congo, le pluralisme politique progresse plus vite lorsque la traçabilité du vote s’améliore.
Regards d’experts sur le panafricanisme prôné
Au-delà du cadre purement national, le président a rattaché son propos à la « vivification du panafricanisme ». L’expulsion en mars dernier de l’activiste franco-béninois Kemi Seba, évoquée par l’opposition, illustre les tensions entourant cette sensibilité idéologique.
Pour le politologue camerounais Fabrice Tchakounte, invité d’un webinaire du Centre d’études stratégiques de Brazzaville, « le panafricanisme version Congo mise sur des alliances pragmatiques, finançant des infrastructures régionales tout en protégeant les équilibres intérieurs ». Cette voie éviterait, selon lui, les ruptures brutales.
Des diplomates accrédités à l’Union africaine constatent que Brazzaville plaide régulièrement pour une représentation accrue des États du Centre dans les organes de décision continentaux. La stratégie vise, d’après eux, à faire émerger un marché de 250 millions d’habitants autour du corridor Congo-Océan.
Enjeux sociaux et attentes citoyennes
Sur le terrain, les attentes demeurent tangibles. À Mfilou, quartier populaire de Brazzaville, des mères de famille interrogées espèrent surtout la baisse du prix du manioc et la réhabilitation des forages, convaincues que la paix prônée par les autorités prendra sens à travers des gestes concrets.
À Oyo, fief du président, l’accent est mis sur l’enseignement technique. Le nouveau lycée agricole, financé par un partenariat sino-congolais, ouvrira en décembre et promet 300 places d’apprentissage, signe qu’investissement social et stabilité institutionnelle peuvent se nourrir mutuellement.
Dans la diaspora, notamment à Paris et Kinshasa, des associations de jeunes Congolais appellent à transformer le débat sur la paix en projets concrets de retour des compétences. Elles proposent un fonds de co-investissement pour encourager l’implantation de start-ups créées par les expatriés.
Le ministère des Finances étudie le mécanisme et évoque une possible garantie publique limitée, conditionnée au respect des normes environnementales, afin d’aligner l’initiative sur la stratégie nationale de développement durable.