Bangui honore 193 bâtisseurs de l’intégration
La 16e Conférence des chefs d’État de la Cémac, accueillie au Palais de la Reconnaissance de Bangui, a réservé un moment fort à la remise de 193 distinctions honorifiques, destinée à célébrer celles et ceux qui, dans l’ombre ou sous les projecteurs, bâtissent patiemment l’intégration sous-régionale.
Parmi les décorés figurent les six chefs d’État membres, élevés à la dignité de grand-commandeur dans l’ordre du Mérite communautaire, et le président de la Commission, Baltasar Engonga Edjo’o, signe d’une reconnaissance institutionnelle rare pour des responsables dont l’engagement façonne la trajectoire collective.
Genèse des distinctions communautaires
Créés en 2003 sous l’impulsion des dirigeants de l’époque, l’ordre du Mérite communautaire et l’ordre de la Reconnaissance communautaire avaient pour vocation d’instituer une mémoire officielle de l’intégration, comparable aux distinctions nationales mais capable d’embrasser l’échelle des six États partageant la zone franc CFA.
L’acte fondateur fut signé à Libreville par l’ancien président centrafricain Ange Félix Patassé, mais les textes prévoyaient déjà la création d’un Conseil des ordres chargé de recevoir, examiner et valider les propositions de décoration, condition indispensable à la crédibilité et à la transparence du dispositif.
Mise en place tardive mais décisive du Conseil des ordres
Faute de Conseil installé, près de vingt ans se sont écoulés sans protocole commun, chaque sommet improvisant ses propres reconnaissances. La célébration du trentenaire de la Cémac a finalement servi de déclencheur : en marge des festivités, les ministres ont ordonné la mise en place effective de l’organe.
La première réunion s’est tenue en février, la seconde début juillet. Dans l’intervalle, les États ont désigné leurs représentants tandis que le président en exercice a nommé un haut diplomate centrafricain Grand chancelier. Ce séquençage inédit pose les bases d’une méthode bientôt routinière.
Pour Fulgence Likassi-Bokamba, commissaire en charge de l’Éducation, la création du Conseil rend enfin opérationnels des textes longtemps restés lettre morte. Il estime que la visibilité accordée aux lauréats constitue un encouragement concret à « poursuivre l’édification de l’espace communautaire », expression qu’il répète comme un credo institutionnel.
Processus de sélection des récipiendaires
Composée d’un représentant par État, ainsi que des hauts responsables de la Cour de justice, du Parlement communautaire, de la Banque centrale et de la Commission, la nouvelle instance a lancé un appel à candidatures, relayé par les chancelleries, afin de recueillir des propositions venant de toute la sous-région.
Le Conseil n’a pas seulement dépouillé les dossiers officiels. Ses membres ont aussi passé en revue les trajectoires publiques dont ils disposaient déjà, piochant dans les archives budgétaires, les rapports de la Banque centrale ou les résolutions parlementaires pour identifier des parcours méritants, parfois restés méconnus du grand public.
Au terme de deux sessions, une liste consolidée a été transmise aux chefs d’État, qui l’ont adoptée par décision collégiale avant la cérémonie de Bangui. Ce mode d’approbation confère aux distinctions un poids politique d’autant plus marqué qu’il est scellé au plus haut niveau.
Dignités et grades, symbole d’excellence partagée
Deux catégories coexistent. Les dignités, au sommet, regroupent le grade de grand officier et celui de grand commandeur, réservés aux dirigeants dont l’influence rayonne sur l’ensemble du bloc. Les grades, eux, s’échelonnent de chevalier à commandeur, selon l’intensité et la durée de la contribution observée.
L’élévation exceptionnelle des six chefs d’État traduit la volonté de consolider la solidarité verticale : plus qu’un trophée, la médaille signifie l’adhésion personnelle des dirigeants au projet communautaire, notamment dans un contexte économique où la convergence budgétaire et la réforme du franc CFA demeurent des priorités partagées.
Pour les personnalités issues de la société civile, recevoir le grade de commandeur, comme ce fut le cas pour Fulgence Likassi-Bokamba, représente aussi un levier de visibilité. L’intéressé souligne que cette marque d’estime oblige à redoubler d’efforts afin de diffuser les valeurs d’éthique et de bonne gouvernance.
Vers une tradition annuelle de reconnaissance
Le Conseil nouvellement installé devrait siéger désormais plusieurs fois par an. La Journée de la Cémac, fêtée le 16 mars, offrira une occasion privilégiée pour remettre les distinctions non encore épinglées. D’autres cérémonies pourraient intervenir en marge des réunions budgétaires, si le président en exercice le juge opportun.
À terme, la régularité du processus devrait nourrir une culture de l’excellence, en évitant que les reconnaissances soient perçues comme de simples gestes protocolaires. Les observateurs estiment que la publication annuelle des listes permettra de cartographier, année après année, l’émergence de nouvelles compétences régionales.
Dans l’immédiat, la vague de Bangui rappelle que l’intégration ne se décrète pas seulement par des traités économiques : elle s’incarne aussi par des visages, des parcours et des récompenses capables de fédérer les opinions publiques autour d’une ambition partagée, celle d’une Afrique centrale soudée et prospère.