Vers une formalisation inclusive
Au Sénat, l’adoption unanime du projet de loi créant l’Agence nationale pour la transformation de l’économie informelle marque une étape jugée décisive par nombre d’observateurs. Cette structure publique ambitionne d’accompagner le foisonnant secteur informel congolais vers une modernité productive et mieux protégée.
Présentée par la ministre de la Promotion de la femme, Inès Nefer Ingani Voumbo Yalo, la réforme s’inscrit dans la stratégie gouvernementale de diversification économique et de relance post-pandémie. Elle entend accroître la contribution de l’informel au produit intérieur brut tout en sécurisant les acteurs.
Selon une étude de la Banque mondiale, près de soixante pour cent de la population active exerce aujourd’hui hors du cadre légal. Le manque de protection sociale, l’accès limité au crédit et une fiscalité souvent perçue comme complexe encouragent la persistance de cette économie de subsistance.
Fonctionnement et attributions de l’Antei
Le texte voté confère à l’Antei la personnalité morale et l’autonomie financière, caractéristiques jugées essentielles pour inspirer confiance aux partenaires techniques. Son conseil d’administration devra réunir ministères, organisations professionnelles et représentants des travailleurs afin de garantir une gouvernance inclusive et réactive.
Dans l’hémicycle, la ministre a précisé que l’agence proposera une taxe unique forfaitaire, simplifiant la relation fiscale. Elle a évoqué la création de sociétés d’intérim capables de salarier les professionnels indépendants, à l’image des dispositifs testés au Maroc ou en Côte d’Ivoire.
Cet instrument financier devrait remplacer la multitude d’impositions locales qui pèsent sur les marges des petits entrepreneurs. Dans des quartiers comme Poto-Poto ou Ouenzé, vendeurs de rue et artisans dénoncent fréquemment les prélèvements redondants effectués par différentes administrations, parfois sans reçu officiel.
Plus qu’un organe de régulation, l’Antei entend jouer un rôle d’accompagnateur. Elle prévoit des guichets mobiles pour délivrer des numéros d’identification unique, condition indispensable pour accéder au régime général de protection sociale et aux lignes de micro-crédit gérées par la Banque postale.
Impacts financiers et sociaux attendus
Sur le plan macroéconomique, les autorités espèrent que la formalisation soutiendra la consolidation budgétaire amorcée depuis l’accord conclu avec le Fonds monétaire international en 2019. Les recettes élargies pourraient financer davantage d’infrastructures, sans alourdir la charge fiscale pesant sur les entreprises déjà structurées.
Dans un entretien, l’économiste Jean-Michel Makosso rappelle que chaque point de pourcentage gagné par l’informel dans le Pib représente des marges d’investissement significatives. « La formalisation ne doit pourtant pas être vécue comme une contrainte, mais comme une promesse d’essor pour les micro-unités », argumente-t-il.
Le dispositif légal prévoit aussi des garde-fous contre les risques d’exclusion. Les travailleurs ayant opté pour le passage au formel bénéficieront d’exonérations progressives et d’un soutien comptable. Un fonds de garantie de vingt milliards de francs CFA est annoncé pour couvrir les premiers besoins de trésorerie.
Pour le porte-parole de l’Union des marchés de Brazzaville, Benoît Oba, la priorité reste la sensibilisation. Selon lui, l’agence devra « expliquer dans chaque marché comment la sécurité sociale protège la famille ou comment les carnets bancaires facilitent les commandes ». Une approche de proximité est donc jugée centrale.
Le chantier statistique constitue un autre défi. Les bases de données devront être alimentées en temps réel pour suivre la progression des adhésions. Le ministère du Numérique développe actuellement une application mobile destinée à enregistrer les activités 24 heures sur 24, même dans les zones rurales.
Défis, témoignages et perspectives régionales
Au-delà des frontières, le Congo-Brazzaville s’aligne ainsi sur la tendance continentale. Le Rwanda, le Bénin ou le Sénégal ont lancé des dispositifs analogues, avec des résultats encourageants pour la bancarisation et la création d’emplois. Brazzaville pourra donc s’appuyer sur ces expériences pour ajuster son modèle.
Certaines organisations de la société civile s’interrogent néanmoins sur la capacité de l’agence à demeurer agile. Elles redoutent une bureaucratie lourde ou des frais d’enregistrement trop élevés. Les autorités assurent que des comités d’évaluation trimestriels mesureront l’impact et corrigeront rapidement les éventuels dysfonctionnements.
Sur le terrain, plusieurs coopératives de jeunes se disent prêtes à franchir le pas. À Talangaï, le groupement des couturières Mboté-Na-Yo souhaite obtenir rapidement un statut juridique pour exporter ses créations. « La demande existe en Angola et au Gabon, il nous manquait seulement le papier », confie sa présidente.
La création de l’Antei s’articule enfin avec le Plan national de développement 2022-2026, qui fait de l’inclusion financière un pilier. En combinant digitalisation, formation et fiscalité allégée, le gouvernement espère construire un écosystème entrepreneurial résilient, capable d’absorber la jeunesse diplômée chaque année.
En adoptant ce texte, les sénateurs parient sur une dynamique inclusive où le capital humain tire profit de la protection sociale tout en contribuant davantage aux recettes publiques. Le succès de la réforme dépendra de la confiance qu’instaurera l’Antei, condition sine qua non d’une transition apaisée.