Un Mbongui sous le sceau de l’innovation inclusive
Dans l’enceinte feutrée du Palais des Congrès de Brazzaville, le terme mbongui – cet espace de palabre traditionnelle où se négocie la cohésion collective – a pris, le temps d’un week-end, les atours d’un laboratoire d’idées résolument tourné vers le futur. Cinquante ans après l’institution de la Journée internationale de la Femme africaine, la cinquième édition du Mbongui de la Femme Africaine a rassemblé chercheuses, entrepreneures et étudiantes autour d’un triple mot d’ordre : inventer, oser, fédérer. « Votre engagement est votre première richesse », a lancé le ministre de la Recherche scientifique et de l’Innovation technologique, Rigobert Maboundou, saluant l’audace des participantes venues présenter prototypes, algorithmes d’optimisation agricole ou dispositifs de cybersécurité adaptés aux réalités locales.
Un ministère mobilisé pour l’agenda 2030 et 2063
La présence ministérielle n’avait rien de protocolaire. Dans la lignée du Plan national de développement 2022-2026 et des engagements pris par le président Denis Sassou Nguesso devant la communauté internationale, le département dirigé par M. Maboundou entend faire de la recherche appliquée un vivier d’opportunités économiques. « En soutenant les femmes dans la recherche, l’innovation technologique et l’entrepreneuriat durable, nous construisons les fondations d’une Afrique forte, souveraine et compétitive », a-t-il précisé en séance inaugurale. Cette rhétorique de souveraineté scientifique fait écho aux objectifs de l’Agenda 2063 de l’Union africaine, qui promeut l’autonomisation comme vecteur d’intégration continentale.
Des mécanismes concrets d’accompagnement
Au-delà des slogans, plusieurs instruments financiers et techniques ont été dévoilés. Un fonds d’amorçage de cinq cents millions de francs CFA devrait voir le jour d’ici la fin de l’année, orienté prioritairement vers les projets issus des hackathons féminins. Par ailleurs, la signature d’un accord-cadre avec l’incubateur public Pépinières d’Entreprises de Brazzaville permettra d’offrir des sessions de mentorat, un accès facilité aux laboratoires universitaires et un accompagnement à la propriété intellectuelle. Selon Splendide Lendongo Gavet, présidente de l’ONG Elite Women’s Club et cheville ouvrière de la manifestation, « la valeur ajoutée du Mbongui réside dans la mise en réseau immédiate entre idéation et capital-risque ». Vingt-deux porteuses de projets, réparties sur les secteurs de la e-santé, de la fintech rurale et des biomatériaux, ont ainsi pu interagir directement avec des investisseurs à capitaux mixtes.
L’enjeu sociétal d’une parole féminine renforcée
La nouveauté la plus commentée demeure toutefois le tribunal citoyen des femmes, exercice de simulation judiciaire consacré, cette année, à la cybercriminalité. Devant un parterre d’étudiants en droit et de magistrats aguerris, les participantes ont décortiqué les ramifications souvent genrées de la fraude numérique, démontrant leur maîtrise des régulations récentes de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. L’initiative, saluée par les représentants du barreau de Brazzaville, illustre la volonté d’ancrer la citoyenneté numérique dans le socle de l’État de droit. Car comme l’a rappelé le ministre Maboundou, « le développement durable de l’Afrique ne se décrétera pas d’en haut ». La sensibilisation juridique, tout comme la maîtrise des nouvelles technologies, conditionne la pleine participation des femmes à la vie politique et économique.
Vers une diplomatie scientifique au féminin
Au-delà des frontières nationales, le Mbongui s’impose progressivement comme un rendez-vous de la diplomatie scientifique. Des délégations venues du Gabon, du Rwanda et même du Canada francophone ont, cette année, multiplié les échanges de bonnes pratiques. Pour Marie-Claude Bibeau, envoyée spéciale du ministère canadien de la Francophonie, « le Congo a su conjuguer l’exigence académique et la convivialité culturelle, deux ingrédients indispensables à l’émergence d’un soft power africain au féminin ». La formule n’est pas anodine : en adossant la promotion du genre à une politique de diffusion de la recherche, Brazzaville teste un modèle susceptible d’attirer des partenariats Nord–Sud équilibrés. L’écosystème ainsi structuré devrait contribuer à l’atteinte des cibles 5.b et 9.5 des Objectifs de développement durable, relatives respectivement à l’accès aux TIC et à la recherche.
Le pari d’une croissance inclusive et résiliente
Au terme de deux journées denses, un sentiment d’optimisme circonspect domine les couloirs du Palais des Congrès. Les participantes sont conscientes que la conversion d’un prototype en solution de masse requiert constance administrative, capitaux patients et marchés ouverts. Pour autant, la dynamique enclenchée par le Mbongui de la Femme Africaine semble avoir franchi un seuil qualitatif. À écouter Jean-Baptiste Ondongo, économiste au Centre d’études prospectives de l’Université Marien-Ngouabi, « l’un des défis majeurs de l’économie congolaise reste la diversification hors pétrole ; miser sur les talents féminins dans les secteurs technologiques constitue une stratégie de résilience macroéconomique ». Dans un contexte de transition écologique et de concurrence régionale accrue, l’État congolais fait ainsi le choix d’adosser ses ambitions de compétitivité à la créativité de ses citoyennes.