Un héritage panafricain toujours vivant
Lorsque l’Organisation de l’unité africaine désigna, en 1996, Brazzaville comme terre d’accueil du Festival panafricain de musique, il s’agissait de prolonger le souffle intellectuel né à Dakar, Alger et Lagos. Derrière l’événement festif se nichait l’intuition que la culture pouvait devenir un langage diplomatique commun à même d’affermir la jeune construction continentale. Presque trois décennies plus tard, cette ambition demeure : le FESPAM continue d’incarner le legs symbolique des pères fondateurs, en rappelant que la souveraineté culturelle constitue un préalable à toute souveraineté politique digne de ce nom.
Brazzaville 2025 : contraintes et convictions
La douzième édition, organisée du 19 au 26 juillet 2025, a épousé les contours d’un format resserré. Zone unique de spectacles, calendrier condensé, délégations essentiellement régionales : autant de signes d’un réalisme financier que les organisateurs assument sans détour. « Le FESPAM demeurera notre vitrine continentale, quelles que soient les turbulences », a souligné le ministre congolais de la Culture, Dieudonné Moyongo, en ouverture des travaux. En dépit de ces garde-fous budgétaires, l’affluence locale s’est maintenue, témoignant d’un attachement populaire que les statistiques officielles estiment à plus de 40 000 participants cumulés.
Les enjeux économiques d’une diplomatie culturelle
La conjoncture internationale, marquée par une inflation importée et des arbitrages budgétaires exigeants, pèse inévitablement sur la capacité des États africains à financer les grands rendez-vous artistiques. Or, le FESPAM n’est pas un simple divertissement : il constitue un instrument de soft power susceptible d’attirer investisseurs, touristes et opérateurs de l’économie créative. L’édition 2025, en mobilisant une plateforme de rencontres B to B entre labels et start-ups musicales, a illustré ce potentiel. Selon le Comité d’organisation, les protocoles d’accord conclus pourraient générer, à moyen terme, près de deux millions de dollars de retombées directes pour les acteurs locaux.
Réinventer la formule pour mobiliser la jeunesse
Si le festival veut demeurer pertinent, il lui faut parler la langue des moins de trente ans, qui représentent plus de 60 % de la population du continent. Les ateliers de production numérique et les concerts hybrides diffusés en streaming sont apparus comme des laboratoires prometteurs. La chanteuse gabonaise Shan’L, figure de proue de cette génération, a rappelé sur scène que « le digital est la nouvelle savane où nos rythmes peuvent courir le monde ». La réussite technique des retransmissions, assurée par un consortium d’entreprises congolaises et rwandaises, signe ainsi un premier jalon vers une extension virtuelle du FESPAM.
Le rôle pivot du Congo dans l’ingénierie culturelle
Capitale historique de la rumba, Brazzaville dispose d’un écosystème d’artistes, de chercheurs et d’ingénieurs du son qui confère au Congo une légitimité particulière pour piloter ce chantier. Les autorités l’ont bien compris : un fonds spécial d’appui à la création musicale, doté de cinq milliards de francs CFA, a été annoncé à l’issue du festival. Cette décision, saluée par l’Union africaine comme un « signal fort de leadership culturel », confirme la volonté congolaise de pérenniser l’événement tout en l’intégrant à une stratégie plus large de diversification économique.
Vers un FESPAM augmenté et concerté
Au terme de cette semaine dense, le comité scientifique a adopté plusieurs recommandations : renforcer la mutualisation financière entre États membres, installer une présidence tournante pour élargir l’appropriation régionale et bâtir un observatoire permanent des musiques africaines. Ces pistes, désormais soumises au Conseil exécutif de l’Union africaine, s’ajoutent à l’idée d’un jumeau numérique du festival, nourri d’archives vivantes et d’expériences immersives. Autant d’initiatives qui laissent entrevoir un FESPAM plus agile, capable de conjuguer mémoire et innovation, local et global, identité et ouverture.