La trajectoire historique d’une filière stratégique
La filière bois constitue depuis les années soixante-dix l’un des premiers pourvoyeurs de devises de la République du Congo. Au-delà de sa contribution à la balance commerciale, elle structure des bassins d’emplois dans les régions de la Lékoumou, du Kouilou et de la Sangha, là où le réseau routier suit souvent les anciennes pistes d’abattage. Les autorités nationales, conscientes de cette centralité, ont régulièrement rappelé que la forêt ne saurait être un simple gisement de grumes mais bien « un levier de développement intégré », pour reprendre les termes du ministre de l’Économie forestière lors du Salon International du Bois à Brazzaville en février dernier.
Un cadre juridique consolidé pour protéger les communautés
L’adoption de la loi 33-2020 portant code forestier a marqué un tournant. Le texte consacre le Consentement libre, informé et préalable des populations autochtones, instaure des cahiers des charges négociés et renforce la traçabilité des flux de bois. Dans la même logique, le partenariat Congo-Union européenne sur la légalité du bois et le programme Forest, Governance, Markets and Climate posent les fondations d’une gouvernance composite où l’État, le secteur privé et la société civile sont coresponsables. Les juristes saluent ainsi un dispositif parmi les plus complets de la sous-région, même si cette densité normative exige, sur le terrain, des moyens humains et logistiques importants pour le suivi.
Témoignages de terrain : attentes et frustrations des villages
Entre Makanda, Lékolí, Bivela et Béna, les habitants relatent des attentes restées en suspens : réhabilitation de centres de santé, installation de pompes hydrauliques, dotation en médicaments essentiels. Selon le rapport de la Rencontre pour la paix et les droits de l’homme publié en juillet, plusieurs engagements pris par certaines sociétés n’ont pas encore été matérialisés. L’image qui revient souvent lors des enquêtes de terrain est celle d’un chantier annoncé mais dont la première pierre tarde à être posée. Pour autant, nombre d’interviewés soulignent la volonté de dialogue maintenue avec les représentants locaux de l’administration forestière, lesquels multiplient les descentes in situ afin de concilier calendrier budgétaire des entreprises et besoins immédiats des populations.
Entre impératifs de rentabilité et devoir de solidarité
Les gestionnaires des concessions rappellent que la baisse conjoncturelle des cours internationaux, la hausse des coûts logistiques et l’application stricte des quotas de transformation locale ont comprimé leurs marges. « Nous devons investir simultanément dans des lignes de sciage modernes et dans des infrastructures sociales ; l’arbitrage n’est pas toujours simple », confie un directeur d’exploitation basé à Pointe-Noire. La responsabilité sociétale n’en demeure pas moins inscrite dans leurs contrats, et l’argument économique ne saurait justifier un effacement pur et simple des obligations. Certains groupes internationaux commencent d’ailleurs à lier l’accès aux financements verts au respect mesurable de ces engagements, créant un cercle vertueux où la performance sociale devient un actif.
La gouvernance publique en quête d’outils de contrôle renforcés
Au niveau gouvernemental, la Direction générale de l’Économie forestière planche sur un système de suivi numérique des cahiers des charges, adossé au futur guichet unique des redevances forestières. L’objectif est double : objectiver les avancées et faciliter la reddition de comptes. Des brigades mixtes, associant inspection des finances et administration forestière, sillonnent déjà la Lékoumou pour documenter les chantiers exécutés. « La transparence est au cœur de la vision du chef de l’État sur la gestion durable », rappelle un conseiller technique au palais du Peuple, soulignant la nécessité de calibrer le contrôle sans entraver l’attractivité du secteur.
Vers une écologie partenariale des concessions forestières
Les experts s’accordent sur un point : la stabilité sociale autour des concessions est indissociable de la pérennité économique. La société civile congolais, via la Rpdh ou l’Observatoire congolais des droits de l’homme, joue un rôle de vigie respecté, tandis que les autorités provinciales expérimentent des plateformes multiacteurs pour résoudre les différends avant qu’ils ne s’enkystent. À l’horizon 2030, l’enjeu sera d’harmoniser plan de développement local, objectifs climatiques et stratégies industrielles. La forêt congolaise demeurera ainsi non seulement un poumon écologique mondial mais également le théâtre d’innovations sociales susceptibles de faire école dans toute la ceinture équatoriale.