Une interpellation citoyenne sur la légalité forestière
À l’hôtel de l’ACERAC de Brazzaville, dans l’effervescence médiatique du 27 juin 2025, Nina Cynthia Kiyindou Yombo, directrice exécutive de l’Observatoire congolais des droits de l’homme, a dévoilé une note de position nourrie de plusieurs mois d’enquêtes de terrain. Le document s’attache à cinq concessions dont les conventions d’aménagement, conclues entre 2004 et 2008, sont aujourd’hui échues. Selon le collectif d’ONG, les autorisations provisoires récemment délivrées à SPIEX, Congo Dejia Wood Industry, SEFYD, SIFCO et SICOFOR constitueraient des « fenêtres juridiques flottantes » susceptibles de fragiliser la traçabilité du bois congolais sur les marchés internationaux.
Les organisations signataires estiment que l’absence de nouveaux cahiers des charges prive les collectivités locales des retombées financières prévues par le Code forestier. Elles redoutent également que l’image du label « bois légal » promu par Brazzaville depuis la ratification de l’Accord FLEGT ne soit ternie, alors que l’Union européenne et la Chine – premier importateur du pays – accentuent leurs exigences de conformité.
Cadre juridique et enjeux économiques du secteur bois
Depuis la révision du Code forestier en 2020, la légalité des coupes repose sur un triptyque : audit indépendant, publication des contrats et consultation communautaire. L’article 175, pierre angulaire du dispositif, pose qu’aucune exploitation ne peut se poursuivre au-delà des vingt-cinq ans d’une convention sans évaluation préalable. Les autorisations provisoires, pensées à l’origine pour éviter une rupture d’activité brutale, doivent rester exceptionnelles et temporellement encadrées.
Dans un contexte où le bois représente près de 6 % du PIB national et emploie environ 25 000 travailleurs directs, les pouvoirs publics jonglent avec des impératifs parfois contradictoires : préserver l’emploi, attirer les investissements de transformation locale et maintenir l’objectif de réduction des émissions de 32 % d’ici 2030 inscrit dans la Contribution déterminée au niveau national. Le prolongement transitoire des permis offre un répit aux opérateurs, mais accroît la vigilance des bailleurs, soucieux d’aligner financements climatiques et bonnes pratiques de gouvernance.
Réponse institutionnelle et marges de réforme
Interrogé sur la portée juridique des permis contestés, le ministère de l’Économie forestière rappelle que la légalité s’apprécie « dans un continuum d’actions correctrices ». Des missions conjointes impliquant l’Inspection générale des finances, l’Agence congolaise de l’environnement et la gendarmerie ont, depuis avril 2025, inspecté plus de 300 hectares de coupes dans la Sangha et la Likouala. Les premiers rapports signalent des progrès en matière de respect des quotas de transformation locale, tout en soulignant la nécessité d’actualiser les études d’impact social pour trois concessions.
Parallèlement, le gouvernement, sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, a annoncé la tenue à Brazzaville d’une table ronde multi-acteurs au troisième trimestre 2025. L’objectif est double : mettre à jour la Stratégie nationale de légalité forestière et définir un calendrier contraignant de révision des conventions. L’Union africaine et la Banque mondiale se disent disposées à appuyer techniquement ce processus, perçu comme un pas décisif vers la consolidation d’une économie verte compétitive.
Perspectives pour une gestion inclusive des ressources
Les ONG proposent de transformer la période transitoire en laboratoire de gouvernance partagée. Elles suggèrent, par exemple, la mise en place de comités de suivi locaux incluant chefs traditionnels, femmes commerçantes et jeunes diplômés en écologie, afin de vérifier l’affectation des redevances et la conformité des plans d’aménagement. Ces propositions rejoignent les orientations du Plan national de développement 2022-2026, qui identifie la participation citoyenne comme levier de paix sociale et d’attractivité des investissements responsables.
Pour sa part, l’administration mise sur la numérisation intégrale du cadastre forestier, l’introduction de drones d’observation et la création de chambres spécialisées au sein des tribunaux de grande instance pour accélérer le règlement des différends. Au-delà de la controverse sur les titres provisoires, se dessine ainsi une trajectoire où société civile, entreprises et État pourraient converger vers un même horizon : faire de la forêt congolaise non seulement un puits de carbone reconnu, mais aussi un moteur de prospérité partagée. Qu’elle prenne la forme d’une annulation pure et simple des permis litigieux ou d’un encadrement renforcé, l’issue de la concertation pèsera, à terme, sur la réputation du Congo-Brazzaville comme carrefour de la gouvernance forestière en Afrique centrale.