Le geste humanitaire marocain, une constante diplomatique
Annoncée le 30 juillet depuis Rabat, l’expédition de 180 tonnes de denrées et de matériel médical vers la bande de Gaza s’inscrit dans une longue tradition royalement pilotée par le Comité Al-Qods que préside Mohammed VI. Depuis la reprise, en 1998, des travaux de ce mécanisme panislamique dédié à la protection de Jérusalem, le souverain chérifien a fait de l’assistance aux Palestiniens l’un des marqueurs les plus visibles de sa politique étrangère, en conjuguant devoir de solidarité et recherche de stature régionale. « Notre responsabilité va au-delà de la rhétorique, elle se mesure au poids des cargaisons », souligne un diplomate marocain accrédité auprès de l’Union africaine.
Une logistique calibrée pour l’urgence humanitaire
Le dispositif mis sur pied par l’état-major des Forces armées royales prévoit un corridor aérien direct, sans escale intermédiaire, reliant Casablanca à Al-Arich, point d’entrée quasi obligé des secours à destination de Gaza. Trois appareils C-130 assureront la rotation des 180 tonnes de fret, scindées en lots de vivres, de tentes, de kits chirurgicaux et de laits infantiles. Un détachement médical d’une vingtaine de praticiens se tient prêt à se déployer avec un hôpital de campagne mobile, en fonction de l’évolution de la situation sanitaire sur place.
Cette capacité de projection rapide est le fruit d’exercices réguliers conduits au Sahel et dans les provinces du Sud, où l’armée a développé une expertise dans la desserte de zones enclavées. Selon un logisticien de la Croix-Rouge, « le Maroc possède aujourd’hui l’un des meilleurs savoir-faire africains en matière d’acheminement d’urgence », un atout qui confère à l’opération Gaza une fiabilité certaine, à l’heure où le passage de Rafah reste fragile et souvent saturé.
Ramifications géopolitiques d’une cargaison solidaire
Au-delà de la dimension purement caritative, l’envoi ponctue la séquence diplomatique entamée par Rabat depuis la normalisation de ses relations avec Israël en 2020. En multipliant les gestes concrets envers les Palestiniens, le royaume s’efforce de maintenir l’équilibre délicat entre engagement en faveur de la cause arabe et diversification de ses partenariats stratégiques. Un chercheur du Policy Center for the New South précise : « Le Maroc rappelle ainsi qu’une normalisation ne vaut pas renonciation à la défense des droits palestiniens ; l’aide humanitaire sert de passerelle symbolique entre ces positions a priori contradictoires. »
Sur la scène internationale, ce déploiement humanitaire reçoit un écho particulier chez les partenaires africains. Au sein de l’Union africaine, où la question de l’octroi du statut d’observateur à Israël a récemment ravivé les clivages, l’initiative chérifienne apparaît comme une tentative de conciliation. Nombre d’États, notamment d’Afrique centrale, voient dans ce geste la preuve qu’il n’existe pas d’incompatibilité entre rapprochement diplomatique et solidarité palestinienne, à condition de conserver une diplomatie fondée sur les faits.
Regards croisés en Afrique centrale
À Brazzaville, l’opération a été saluée avec intérêt par plusieurs responsables parlementaires qui y discernent un modèle de réponse humanitaire articulant solidarité concrète et efficacité opérationnelle. « L’expérience marocaine démontre qu’un leadership africain peut se manifester par l’action et non seulement par les déclarations », commente un député congolais membre de la commission Affaires étrangères. Cet écho favorable s’inscrit dans la chronologie des positions publiques prises par la République du Congo en faveur d’une solution négociée au conflit israélo-palestinien, dans le strict respect des résolutions onusiennes.
Les organisations de la société civile congolaise, actives dans la coordination d’aide aux réfugiés, observent avec attention la logistique déployée par Rabat. Plusieurs responsables associatifs estiment que la mutualisation de compétences pourrait à l’avenir renforcer la capacité africaine à répondre aux crises régionales, qu’il s’agisse du bassin du lac Tchad ou de la Corne de l’Afrique.
Entre devoir moral et soft power assumé
L’envoi de 180 tonnes d’approvisionnements répond d’abord à un impératif humanitaire, réaffirmé par les agences onusiennes qui décrivent la situation à Gaza comme « précaire et susceptible de basculer ». Mais il traduit également la volonté du Maroc de consolider sa marque de fabrique diplomatique : une approche pragmatique, fondée sur le déploiement de moyens tangibles, susceptibles de renforcer la perception d’un royaume médiateur et porteur de solutions. Cette stratégie de soft power, théorisée depuis la montée en puissance de la diplomatie religieuse et culturelle marocaine au Sahel, trouve avec Gaza une nouvelle occasion de se matérialiser.
À court terme, la réussite ou non de la mission dépendra de paramètres qui échappent largement à Rabat, notamment la fluidité des passages frontaliers et la coopération des différentes parties en présence. À moyen terme, l’opération consolidera la position du roi Mohammed VI comme interlocuteur crédible, capable de parler à l’ensemble des protagonistes du dossier proche-oriental.