La Fête internationale de la musique, pivot d’un calendrier culturel congolais
Le 21 juin, Pointe-Noire n’a pas failli à la tradition instaurée en 1982 par Jack Lang et depuis adoptée par plus de cent pays. Dans la capitale économique du Congo, ce rendez-vous annuel ne se limite plus à un simple divertissement urbain : il matérialise l’idéal d’accessibilité culturelle en ouvrant sans distinction l’espace public à l’expression artistique. L’édition 2024, marquée par une forte affluence, a confirmé cette vocation inclusive.
À l’ombre des grands podiums installés sur le front de mer, le quartier populaire de Mpita s’est mué en amphithéâtre à ciel ouvert. L’Association Toutariv y a convié un public hétéroclite à un concert baptisé « Le rêve », soulignant l’ambition de transformer des trajectoires fragiles en histoires de réussite. Loin d’une démarche caritative ponctuelle, l’événement s’inscrit dans une réflexion nationale plus large sur l’insertion des jeunes par la culture, encouragée par les autorités locales.
Mpita, creuset social et scène d’expérimentation musicale
Historiquement marqué par une urbanisation rapide et des dynamiques migratoires internes, Mpita concentre des franges de population en situation de précarité. Les indicateurs de vulnérabilité y côtoient toutefois une inventivité foisonnante, que les sociologues décrivent comme un « capital culturel latent ». Cette réalité s’est illustrée lors du concert où chants, percussions et chorégraphies ont épousé la topographie improvisée des ruelles.
L’intérêt qu’ont manifesté diplomates installés à Pointe-Noire et représentants d’ONG internationales révèle le statut grandissant du quartier comme laboratoire de politiques publiques innovantes. « Mpita démontre que la cohésion sociale peut naître d’une guitare et d’un djembé », analyse le politologue Désiré Mabika, soulignant la complémentarité entre initiatives citoyennes et accompagnement institutionnel.
Ruth Ondongo, voix de cristal et visage de la résilience
Âgée de quinze ans, Ruth Ondongo a cristallisé l’attention en reprenant avec une précision émotive le titre « Pardon » de la cantatrice Keit. Orpheline depuis l’enfance, victime d’un accident ayant interrompu son parcours scolaire pendant quatre ans, elle incarne cette génération qui refuse l’assignation à la marginalité. « La musique a chassé ma solitude », confie-t-elle, les yeux brillants d’un optimisme assumé.
Sa prestation n’a pas seulement impressionné le public. Un responsable de la délégation de l’Union africaine présent à Pointe-Noire pour une mission culturelle a salué « une maturité artistique rare et porteuse d’espoir pour la jeune scène congolaise ». Pour Ruth, qui prépare simultanément le B.E.P.C., la reconnaissance constitue un encouragement mais aussi une responsabilité : prouver que l’excellence peut émerger des périphéries.
Toutariv, la pédagogie de la seconde chance par les arts
Fondée il y a dix ans par des enseignants et musiciens bénévoles, l’Association Toutariv se définit comme un incubateur de talents issus de milieux fragiles. En combinant apprentissage musical, soutien scolaire et accompagnement psychosocial, elle revendique un taux de réintégration scolaire supérieur à 70 %. « Nous ne formons pas seulement des artistes, nous reconstruisons des trajectoires », explique Étienne Loussilaho, alias Phénix Viber, guitariste et directeur artistique.
Le modèle repose sur des ateliers quotidiens, l’élaboration de petites formations orchestrales et la valorisation publique des progrès réalisés. Cette méthode expérientielle s’adosse à des partenariats conclus avec des structures telles que le Cercle culturel pour enfants ou l’Armée du Salut, consolidant un écosystème solidaire qui s’articule avec les orientations nationales en faveur de la jeunesse.
Vers un maillage institutionnel accru autour de la création juvénile
Les autorités départementales, représentées lors du concert par la direction de la culture et des arts, ont évoqué la mise en place d’un fonds de soutien aux initiatives communautaires. L’objectif est d’intégrer ces projets dans un schéma plus large de développement local, conformément aux engagements pris par le gouvernement en matière de cohésion sociale et de rayonnement culturel.
Le programme, encore à l’état de consultation, pourrait associer entreprises pétrolières établies dans la zone industrielle de Pointe-Noire, bailleurs internationaux et associations de quartier. Pour le sociologue Brice Itoua, il s’agit « d’institutionnaliser un dynamisme spontané sans en brider la créativité ». Une perspective accueillie favorablement par les acteurs culturels, convaincus que la pérennité passera par une reconnaissance juridique et budgétaire durable.
Le potentiel créatif de Pointe-Noire face au défi de la durabilité
Au-delà de l’enthousiasme suscité par la Fête de la musique, la question centrale demeure celle de la continuité. Comment inscrire l’essor de jeunes artistes dans une filière viable, de la formation à la diffusion ? Les observateurs mettent en avant la nécessité d’espaces scéniques intermédiaires, de résidences d’artistes et d’un enseignement musical certifiant, afin d’éviter qu’un talent prometteur ne se heurte au plafond de verre de l’informel.
La soirée de Mpita aura prouvé qu’une note peut être porteuse d’ascension sociale. Dans le silence revenu après le dernier rappel, l’écho d’un djembé raisonnait encore comme une promesse : celle d’un avenir où chaque enfant, quelles que soient ses épreuves, trouvera dans le patrimoine musical congolais un levier d’accomplissement personnel et collectif.