Le musée du Bassin du Congo, nouvel épicentre d’une mémoire partagée
Sous la verrière encore fraîchement restaurée du musée du Bassin du Congo, le vernissage du 25 juin a pris des accents de rituel civique. Le cortège officiel ouvert par la ministre de l’Industrie culturelle et artistique, Lydie Pongault, n’a pas seulement donné le ton protocolaire : il a signifié l’appropriation politique d’un événement dont la portée dépasse les frontières nationales. Face aux tableaux de Bonide Miekoutima, les diplomates accrédités à Brazzaville ont mesuré la capacité de la rumba à fédérer les récits de la République du Congo comme de la République démocratique du Congo, réunies autour d’une même matrice sonore inscrite sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité (UNESCO 2021).
Des toiles au service de la diplomatie culturelle congolaise
En convoquant les figures fondatrices de Franco à Wendo, Miekoutima opère une transposition : de l’onde musicale à la chromatique visuelle. L’artiste confie avoir voulu « rendre tangible ce qui, par définition, est immatériel ». La démarche, si elle est esthétique, s’inscrit également dans une stratégie diplomatique désormais assumée par Brazzaville. Le choix de l’enceinte des Dépêches de Brazzaville, quotidien à la faveur historique franco-africaine, fait écho à la volonté des autorités de présenter un visage culturel cohésif, propre à rallier partenaires et bailleurs autour d’un imaginaire unificateur. Dans les couloirs du musée, plusieurs attachés culturels européens ont déjà esquissé l’idée de prêts internationaux, preuve que la toile peut compléter le tambour dans la construction d’une influence subtile.
Un patrimoine immatériel élevé au rang d’outil de soft power
Depuis son inscription par l’UNESCO, la rumba congolaise a changé de statut diplomatique. Jadis perçue comme folklore urbain, elle devient, au même titre que le jazz pour les États-Unis ou le fado pour le Portugal, une carte de visite officieuse des chancelleries congolaises. La série picturale de Miekoutima renforce ce glissement : en fixant sur toile les mythes musicaux, elle offre aux ambassades un objet exportable et exempt des contraintes logistiques qu’impose une troupe en tournée. À Kinshasa comme à Brazzaville, les services protocolaires envisagent déjà l’usage de reproductions grand format pour habiller les halls diplomatiques et, par ce biais, inscrire la rumba dans les rites d’accueil des chefs d’État.
Cette instrumentalisation culturelle n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans une dynamique continentale où l’Éthiopie mobilise la gastronomie, le Rwanda le cinéma et le Sénégal l’art contemporain post-Dakar. La rumba, forte de sa dimension transfrontalière, possède toutefois un avantage distinct : elle raconte deux nations à la fois, laissant entrevoir un laboratoire d’intégration sous-régionale que l’Union africaine suit de près.
Entre réminiscence historique et regards contemporains
Chaque toile de l’exposition constitue un palimpseste. Derrière les silhouettes dansantes, Miekoutima insère des fragments de partitions, des unes de journaux jaunies ou des slogans d’indépendance. Le tableau consacré à « Indépendance Cha Cha » réunit, sous un glacis ocre, les portraits de Patrice Lumumba et de Fulbert Youlou, rappelant que la rumba fut aussi une pédagogie politique ambulante. La toile « Chez Faignond » recrée l’atmosphère des bals populaires des années 1960 ; sous les courbes vives d’un saxophone, on devine la circulation d’idées panafricaines dont les diplomates de l’époque se nourrissaient.
Pourtant, l’exposition ne s’abandonne pas à la nostalgie. Les toiles dédiées à Roga Roga ou Fally Ipupa affichent des aplats fluorescents, clin d’œil aux néons de la scène urbaine actuelle. L’artiste rappelle ainsi que la rumba demeure un genre vivant, capable d’embrasser les aspirations de la jeunesse et les codes du numérique. Cette tension entre réminiscence et contemporanéité fournit le chaînon manquant entre mémoire nationale et diplomatie d’influence : l’État valorise l’héritage sans cantonner la création à un musée figé.
Marché de l’art africain et rayonnement international
Derrière l’élan patrimonial se profile un enjeu économique. Les toiles de Miekoutima, proposées à la vente, s’inscrivent dans un marché africain de l’art dont la croissance avoisine, selon ArtTactic, 13 % par an depuis 2019. En convertissant la rumba en œuvre circulante, le peintre rejoint la logique de nombreux créateurs nigérians ou ghanéens qui, ces dernières années, ont fait des salles de vente londoniennes et parisiennes une extension de leurs ateliers. Pour les autorités congolaises, il ne s’agit pas seulement de soutenir un artiste local ; il s’agit de capter une part des investissements culturels mondiaux et de repositionner Brazzaville sur la carte des capitales artistiques africaines.
L’exposition, prolongée jusqu’au 21 août, joue ainsi la carte de l’accessibilité : familles, touristes, restaurateurs et collectionneurs sont encouragés à acquérir une toile, ou du moins une reproduction. Ce transfert vers la sphère privée consolide la stratégie de diffusion horizontale chère à la diplomatie culturelle : plus l’œuvre circule, plus le récit national se dissémine. À terme, chaque foyer possesseur d’un fragment de rumba picturale devient, volontairement ou non, un relais narratif de l’identité congolaise.
Un laboratoire de cohésion et de projection régionale
Au-delà de l’esthétique, l’exposition illustre l’ambition des deux Congo de construire une diplomatie conjointe fondée sur un héritage culturel commun. Les improvisations musicales qui ont ponctué le vernissage, réunissant artistes des deux rives, ont offert un aperçu tangible d’une coopération que les chancelleries espèrent étendre à d’autres domaines, du tourisme fluvial aux projets d’infrastructures transfrontalières.
Si l’initiative demeure modeste en regard des grands festivals panafricains, elle envoie un signal : la culture constitue un champ d’expérimentation diplomatique moins exposé aux tensions que la sécurité ou l’économie. Elle permet de tester la confiance mutuelle, de bâtir des réseaux et, surtout, de redéfinir la narrativité africaine depuis l’intérieur du continent.
À l’heure où se multiplient les Forums sur les nouvelles routes de la soie ou sur la coopération russo-africaine, la mise en avant d’une diplomatie du pinceau apparaît comme un rappel utile : les nations se racontent d’abord par ce qu’elles créent. La rumba, hier bande-son des indépendances, devient aujourd’hui matière de toiles, vecteur de soft power et, peut-être, socle d’un nouvel agenda diplomatique régional.