Un laboratoire roulant au cœur des territoires
Sous les ferronnières encore rosées de l’aube brazzavilloise, la bâche bleue a glissé pour dévoiler un étrange conteneur monté sur remorque : quatorze mètres d’acier convertis en salle de classe connectée. Quelques poignées de main plus tard, le ministre chargé de la Formation qualifiante et de l’Emploi, Hugues Ngouelondelé, a salué « une avancée concrète vers l’équité territoriale ». Au-delà de la mise en scène, cette unité mobile commandée par le Fonds national d’appui à l’employabilité et l’apprentissage se présente comme un dispositif censé dessiner un nouveau paysage de la formation professionnelle congolaise.
Une réponse pragmatique aux clivages socio-spatiaux
Depuis plusieurs années, rapports d’organisations internationales et diagnostics gouvernementaux convergent : les centres de formation publics et privés se concentrent à plus de 70 % à Brazzaville et Pointe-Noire. Dans un pays où près de la moitié des moins de trente ans vit dans des communes rurales, l’accessibilité constitue donc un pivot stratégique. En portant l’atelier vers les apprenants, le Fonea s’attaque à une contrainte matérielle souvent plus décisive que le coût pédagogique lui-même : la distance. Comme l’a rappelé Patrick Robert Ntsibat, directeur général de l’institution, « ce véhicule est une révolution silencieuse ». La formule, sans emphase excessive, traduit l’option d’un aménagement mobile du territoire, complémentaire aux investissements immobiliers classiques.
Des filières électriques stratégiques pour l’économie verte
Le choix d’une spécialisation dans les métiers de l’électricité ne doit rien au hasard. La stratégie nationale de diversification économique, tout comme les engagements climatiques souscrits par le Congo, misent sur l’électrification durable et le déploiement de solutions photovoltaïques. Former des techniciens capables d’installer, d’entretenir et de sécuriser les réseaux domestiques ou industriels devient dès lors un impératif macroéconomique. Les modules proposés – bâtiment résidentiel, systèmes photovoltaïques, automatismes de moteurs, sécurité incendie et anti-intrusion – correspondent à des segments où la demande de main-d’œuvre qualifiée progresse deux fois plus vite que l’offre locale, selon les estimations du Bureau international du travail.
Une ingénierie pédagogique conçue pour la mobilité
À l’intérieur, le mobilier ergonomique côtoie tableaux interactifs et mallettes de câblage didactique. L’architecture extensible permet d’accueillir vingt-trois apprenants sans compromettre la circulation. Un ascenseur latéral assure l’accès des personnes à mobilité réduite, attestant la volonté inclusive du projet. Le générateur embarqué de 65 kVA garantit l’autonomie énergétique, point crucial pour intervenir dans les zones où le réseau public reste intermittent. Les formateurs, issus du CEFA des métiers de l’électricité et du projet Mosala, appliquent une pédagogie par scénarios qui imite les conditions réelles de chantier. Chaque rotation départementale, prévue sur trois à quatre semaines, se clôt par une certification reconnue par l’État, facilitant l’insertion professionnelle immédiate.
Perspectives d’élargissement et enjeux de gouvernance
Derrière l’effet vitrine, la soutenabilité financière et la gestion logistique détermineront la pérennité de l’initiative. Le Fonea envisage déjà de déployer quatre unités supplémentaires d’ici à 2025 afin de couvrir l’ensemble du territoire, en partenariat avec les directions départementales de l’emploi. L’enjeu est d’éviter un engorgement du dispositif et de maintenir un haut niveau d’équipement malgré les kilomètres avalés sur des axes parfois accidentés. Par ailleurs, la collecte de données d’impact – taux d’insertion, durabilité des emplois créés, adéquation des compétences – devrait alimenter un observatoire de l’employabilité encore embryonnaire.
Pour de nombreux observateurs, la valeur ajoutée politique du projet réside également dans le message qu’il véhicule : la mobilité n’est pas seulement une contrainte géographique mais peut devenir un levier d’inclusion. Dans un contexte continental où la jeunesse constitue tantôt une inquiétude, tantôt un atout démographique, le Congo-Brazzaville offre ainsi un exemple de solution modulaire, probablement transposable à d’autres secteurs comme l’agro-transformation ou le numérique. Aussi, l’émergence de cette école sur roues rappelle qu’il peut exister, sous la carapace des grands investissements structurels, des innovations à taille humaine capables de transformer progressivement le quotidien des populations.