Contexte juridico-social
Adoptée en mai 2022, la loi Mouebara n°19-2022 symbolise l’accélération des réformes juridiques relatives aux droits humains au Congo-Brazzaville. Elle s’inscrit dans la dynamique continentale portée par la Convention de Maputo, intégrant explicitement la lutte contre les violences sexistes dans le corpus pénal national.
Si les enquêtes nationales suggèrent que près d’une femme sur trois a déjà subi une violence physique ou psychologique, le nombre de plaintes enregistrées reste faible, en raison d’obstacles socioculturels, du coût des procédures et d’une méconnaissance persistante des recours existants.
Séminaire de Ouesso : sensibilisation active
Ouesso, capitale de la Sangha, a accueilli début août un séminaire de vulgarisation piloté par le ministère de la Promotion de la femme et le secrétariat préfectoral. Trente responsables associatifs, enseignants, policiers et agents de santé ont pris part à deux jours d’échanges interactifs.
En ouvrant les travaux, M. Armand Ngakegni a salué un «moment pédagogique décisif» pour renforcer l’État de droit. Son allocution a rappelé le soutien constant des autorités départementales aux initiatives qui consolident la cohésion sociale et protègent les citoyennes les plus vulnérables.
Les organisateurs ont privilégié une méthode participative : scénettes inspirées de faits réels, ateliers juridiques, diffusion des numéros d’urgence 1444, 117, 1515 et 05 644 00 00. «Il fallait mettre les services à portée de téléphone», explique un officier de police judiciaire invité.
Innovations juridiques clés
La loi Mouebara innove d’abord en définissant clairement le harcèlement économique, la cyber-violence et la violence obstétricale, comblant ainsi des vides juridiques. Chaque infraction est assortie de peines spécifiques allant de lourdes amendes à des peines privatives de liberté.
Autre avancée : la protection immédiate des victimes. Le texte impose aux officiers de police de recueillir sans délai les plaintes, d’orienter vers une prise en charge médicale gratuite et d’informer le parquet dans les vingt-quatre heures, réduisant les risques de pressions familiales.
Un fonds national d’assistance juridique et psychosociale est également créé. Pour la sociologue Yolande Kamba, «ce guichet unique peut changer la donne si les ressources suivent, car il lève l’obstacle financier qui empêchait nombre de femmes rurales de se défendre».
Défis d’application locale
L’application effective d’une loi reste toutefois tributaire des capacités locales. Dans la Sangha, on ne recense que deux magistrats spécialisés en matière familiale et une maison d’accueil de vingt lits, selon la direction départementale des affaires sociales.
Les autorités misent donc sur la formation continue des agents publics. Depuis janvier, quatre sessions régionales ont sensibilisé plus de 300 gendarmes et greffiers. Un module sur la loi Mouebara sera intégré à l’École nationale d’administration à la rentrée prochaine, indique le ministère de tutelle.
La coopération internationale appuie ce mouvement. L’UNFPA et l’Agence française de développement financent déjà un programme de cartographie des refuges, tandis que le PNUD fournit des kits informatiques visant à digitaliser le suivi des dossiers dans les tribunaux pilotes de Brazzaville, Pointe-Noire et Ouesso.
Réception communautaire
Sur le terrain, les réactions montrent une attente forte. «Je connais enfin mes droits et les peines prévues contre mon bourreau», confie Mireille, commerçante, qui avait renoncé à porter plainte en 2020. Elle envisage désormais d’engager des poursuites, encouragée par son association de quartier.
Les chefs coutumiers, souvent premiers arbitres des conflits familiaux, se disent prêts à intégrer la loi. Le notable Bafoukou affirme avoir «conseillé aux couples de privilégier le dialogue, mais je rappelle aussi que la justice républicaine prime désormais sur toute transaction privée».
Certaines associations pointent toutefois le besoin d’abris supplémentaires pour les victimes. À Ouesso, le foyer existant affiche complet pendant les vacances, période où les agressions domestiques augmentent. Les autorités étudient la réhabilitation d’un ancien internat afin de doubler la capacité d’accueil d’ici 2025.
Mobilisation future
À moyen terme, l’entrée en vigueur de la loi Mouebara pourrait également stimuler l’autonomisation économique des femmes. L’extension des peines de confiscation des revenus illicites crée un signal dissuasif qui, selon la Chambre de commerce, rassure les investisseuses et encourage l’entrepreneuriat féminin.
La vulgarisation engagée à Ouesso illustre ainsi la volonté gouvernementale de traduire la norme en changements concrets. Reste à maintenir l’élan budgétaire et à élargir la sensibilisation aux milieux scolaires pour que l’esprit de la loi Mouebara irrigue pleinement durablement toute la société congolaise.
Un plan de communication numérique est en cours d’élaboration. Des capsules vidéo en langue lingala et sango seront diffusées sur les réseaux sociaux pour toucher les jeunes. «La loi ne doit pas rester un texte, elle doit entrer dans les conversations», souligne la chargée de communication ministérielle.
Les juristes rappellent enfin la complémentarité entre la loi Mouebara et le Code du travail révisé en 2021. Ensemble, ces instruments renforcent la prévention du harcèlement en entreprise et placent la responsabilité sociale des employeurs au centre des stratégies nationales de développement, et de la compétitivité des entreprises locales.