Un signal fort depuis Brazzaville et Moscou
En moins d’une heure de protocole, le vendredi 4 juillet, la signature des Professeurs Parisse Akouango et Natalia Pomortseva a hissé au rang d’acte diplomatique un simple accord inter-universités. Entre les platanes du campus de l’Université Marien Ngouabi et les couloirs feutrés de la RUDN, les caméras ont capté la même volonté : inscrire la coopération Congo-Russie dans le temps long de la production du savoir plutôt que dans l’actualité conjoncturelle. La Maison Russe, par la voix de sa directrice Maria Fakhrutdinova, a aussitôt salué « un partenariat structurant pour la jeunesse africaine », tandis que les observateurs congolais relevaient la cohérence de l’initiative avec la politique de diversification des partenariats extérieurs défendue par Brazzaville.
Former les futures élites de l’administration publique
L’accord cible prioritairement l’administration publique, le droit et la gouvernance, soit les champs où l’ENAM a forgé sa réputation depuis sa création en 1977. La RUDN, de son côté, mobilise la longue expérience de son Institut de la langue russe et de ses facultés orientées vers les sciences sociales. Les responsables des deux institutions évoquent déjà l’envoi réciproque de doctorants, l’organisation d’écoles d’été et la codirection de thèses portant sur la réforme de l’État, l’impact du numérique sur la gestion publique ou l’éthique judiciaire comparée. À terme, une double diplomation pourrait voir le jour, permettant aux cadres congolais d’arborer un titre reconnu aussi bien à Brazzaville qu’à Moscou.
Patrice Lumumba, matrice symbolique et passerelle mémorielle
La conférence-débat qui a suivi la signature n’avait rien d’anecdotique. En choisissant de réfléchir à l’héritage de Patrice Lumumba, figure panafricaine et anticolonialiste, les enseignants russes ont rappelé que la RUDN porte le nom du dirigeant congolais depuis 1961. « Lumumba incarne la quête d’émancipation et la dignité des peuples », a souligné Natalia Pomortseva devant un auditoire mêlant étudiants, diplomates et représentants de la société civile. Cet ancrage historique confère au partenariat une dimension mémorielle forte : il s’agit de former des administrateurs à la fois compétents et conscients des trajectoires politiques singulières du continent, selon le mot du philosophe congolais Théophile Obenga, invité à commenter les débats.
Diplomatie académique : un vecteur souple d’influence
Dans la grammaire contemporaine des relations internationales, les accords universitaires s’apparentent de plus en plus à des instruments de soft power. En diversifiant ses coopérations au-delà des partenaires traditionnels, le Congo se dote d’un canal d’influence supplémentaire, moins exposé que les partenariats miniers ou militaires et pourtant susceptible de façonner durablement les imaginaires. Pour la Russie, la relance d’une présence éducative en Afrique centrale complète une stratégie de retour sur la scène africaine amorcée dès le sommet de Sotchi en 2019. Les diplomates interrogés à Brazzaville estiment qu’un campus constitue « un ambassadeur silencieux » : les idées, les méthodes de travail, les réseaux d’anciens étudiants circulent, souvent plus vite que les déclarations officielles.
Enjeux sociopolitiques pour le Congo contemporain
L’ENAM, bras académique de la fonction publique congolaise, forme chaque année plusieurs centaines de cadres supérieurs qui irriguent l’ensemble des ministères. L’ouverture à la RUDN pourrait accélérer l’actualisation des programmes, notamment sur la gestion par résultats, la budgétisation sensible au genre ou la dématérialisation des procédures. Ces thématiques rejoignent les priorités énoncées par le gouvernement de Denis Sassou Nguesso dans le Plan national de développement 2022-2026. En outre, l’exposition accrue des étudiants congolais aux standards internationaux peut renforcer la compétitivité du pays dans les classements de gouvernance et, par ricochet, améliorer l’attractivité des investissements étrangers.
Perspectives à moyen terme et défis opérationnels
Les acteurs reconnaissent cependant que le succès de l’accord dépendra de paramètres logistiques et financiers. La question de la mobilité des étudiants, des bourses et de la reconnaissance mutuelle des crédits doit encore être clarifiée. Des juristes travaillent déjà sur une harmonisation des curricula afin d’éviter les chevauchements et de garantir la valeur des diplômes. Côté infrastructures, la mise à disposition de laboratoires partagés et l’accès aux bases de données juridiques constituent des leviers essentiels pour atteindre les ambitions annoncées.
À Brazzaville, l’enthousiasme reste palpable. « Nous voulons bâtir des passerelles, pas des symboles creux », a confié le professeur Parisse Akouango. À Moscou, la vice-rectrice Svetlana Krasnova évoque « une maison commune où les savoirs s’échangent à égalité ». Si les promesses sont tenues, le partenariat RUDN-ENAM pourrait devenir un modèle régional de coopération Sud-Nord revisitée, fidèle à l’intuition de Lumumba selon laquelle la souveraineté politique se consolide d’abord dans les amphithéâtres.