Une diplomatie culturelle congolaise en mouvement
La République du Congo n’a jamais fait mystère de son ambition de projeter son influence par la culture et l’éducation. Depuis plusieurs mois, Brazzaville affine une stratégie qui conjugue soft power, solidarité panafricaine et présence active dans les enceintes multilatérales. La récente tournée du Premier ministre Anatole Collinet Makosso au Nigeria puis au Burkina Faso s’inscrit dans cette dynamique : il s’agit de gagner des alliés de poids avant l’élection, en novembre prochain, du prochain directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, poste pour lequel le Congo présente la candidature de Firmin Édouard Matoko.
Dans un contexte géopolitique imprévisible, où certains États réajustent leur relation aux institutions internationales, l’exécutif congolais mise sur la diplomatie culturelle pour consolider son image de partenaire fiable et mobilisateur. Au-delà des enjeux électoraux, cette démarche porte l’empreinte d’un Président Denis Sassou Nguesso soucieux de voir l’Afrique rayonner au sein d’organisations souvent dominées par des puissances du Nord.
Abuja : socle d’une alliance éducative stratégique
Première étape ouest-africaine, Abuja. Anatole Collinet Makosso est reçu par Bianca Odumegwu Ojukwu, ministre déléguée aux Affaires étrangères du Nigeria. La rencontre, formelle dans sa mise en scène, se révèle dense dans son contenu. Les deux responsables passent en revue les chantiers bilatéraux : formation des enseignants, mobilité étudiante dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine et, surtout, soutien politique réciproque lors des scrutins onusiens. « La reconnaissance mutuelle des talents africains est une responsabilité collective », glisse le Premier ministre, soucieux de replacer la dimension panafricaine au cœur de la discussion.
Parallèlement, un entretien discret a lieu avec Rocha Okorosha, directrice de la Fondation Rocha, associée depuis 2017 à la Fondation Congo Assistance. Les deux fondations réfléchissent à un programme commun de numérisation des manuscrits anciens d’Afrique centrale et de l’Ouest, initiative susceptible d’intéresser l’UNESCO. Selon une source diplomatique nigériane, cette convergence d’intérêts culturels renforce la crédibilité de la candidature Matoko, perçu comme “un homme de dossiers, plus qu’un homme d’apparat”.
Ouagadougou : message de Brazzaville à la transition burkinabè
Cap ensuite sur Ouagadougou. Le chef du gouvernement congolais porte un courrier personnel du président Denis Sassou Nguesso à son homologue burkinabè, le capitaine Ibrahim Traoré. La teneur du message, selon le point presse organisé à l’issue de l’audience, tient en deux mots : solidarité et confiance. Brazzaville salue « l’engagement, le dynamisme et la combativité » d’Ouagadougou dans le rétablissement de la sécurité intérieure et la relance économique. “Je me revois, il y a quelques décennies, confronté aux mêmes défis”, aurait écrit le président congolais, en un clin d’œil à son propre parcours.
L’angle choisi n’est pas neutre : insister sur les similitudes de trajectoire vise à créer une proximité personnelle et politique. Pour Brazzaville, obtenir le soutien du Burkina Faso – pays dont la voix compte dans les groupes de vote africains à l’UNESCO – revêt un poids stratégique. Les équipes burkinabè, elles, valorisent l’expertise congolaise en matière de négociation multilatérale, notamment à travers le rôle joué par Brazzaville lors des sommets sur la sécurité du Bassin du Lac Tchad.
Matoko, un profil UNESCO à dimension continentale
Ancien sous-directeur général de l’UNESCO chargé de la Priorité Afrique, Firmin Édouard Matoko incarne un fonctionnaire international rompu aux subtilités du dialogue Nord-Sud. Son parcours de quinze ans au sein de l’agence onusienne lui confère, aux yeux de nombreux diplomates, une compréhension fine des mécanismes budgétaires et des équilibres politiques internes. “Dans une période d’incertitude où certains partenaires questionnent leur appartenance aux institutions multilatérales, le prochain directeur général devra être un bâtisseur de confiance”, soutient Anatole Collinet Makosso.
La candidature Matoko, portée par un pays de taille moyenne mais politiquement stable, présente pour plusieurs capitales africaines un intérêt supplémentaire : celui de voir à la tête de l’UNESCO un acteur provenant non pas des traditionnelles locomotives démographiques, mais d’un État dont la diplomatie sait cultiver le consensus. Les observateurs notent également sa proximité avec les milieux académiques burkinabè dont il a appuyé, par le passé, des programmes de préservation du patrimoine.
Intégration régionale : infrastructures et sécurité alimentaire
Lors de ses échanges à Ouagadougou, Anatole Collinet Makosso met en avant l’impératif d’une modernisation soutenue des infrastructures, condition préalable à la libre circulation des biens et des personnes. Le gouvernement congolais défend une vision “corridor” reliant les ports de Pointe-Noire, Lagos et Abidjan aux hinterlands sahéliens. Cette approche logistique, combinée à un effort conjoint pour développer des chaînes de valeur agroalimentaires, répond à l’objectif partagé de sécurité alimentaire continentale.
Sur ce point, le Premier ministre burkinabè a salué l’ouverture fin 2023 du Centre de formation sous-régional de Dolisie, dédié à l’agro-industrie, comme une illustration concrète de la contribution congolaise. Les deux parties envisagent de coparrainer, en 2025, un forum sur la transformation locale des produits agricoles, initiative qui pourrait recueillir un label UNESCO si la direction générale de l’organisation était acquise à Matoko.
La valeur ajoutée d’une candidature du Sud global
Au-delà des soutiens nationaux, la diplomatie congolaise entend convaincre le G77 et la Chine que la gouvernance de l’UNESCO gagnerait à être incarnée par une figure issue du Sud global. “La pluralité du monde nécessite une pluralité de voix”, martèle un conseiller de la mission congolaise à New York. Pour ce cercle de stratèges, Brazzaville a l’avantage de pouvoir dialoguer avec tous les blocs sans être perçu comme un rival géopolitique.
L’habileté consiste donc à présenter Firmin Édouard Matoko comme un “facilitateur”, capable de relancer des dossiers parfois à l’arrêt, qu’il s’agisse du Fonds de sauvegarde du patrimoine immatériel ou des programmes de lutte contre l’illettrisme numérique. Les capitales ouest-africaines, Lagos et Ouagadougou en tête, se montrent réceptives à cet argumentaire qui lie la reconnaissance des compétences à la montée en puissance d’une Afrique audible et influente.
Perspectives : vers une campagne électorale multivectorielle
À l’issue de ce premier déplacement, le calendrier du Premier ministre prévoit d’autres escales, notamment à Accra et à Dakar, pour consolider la coalition africaine. Dans chaque capital, l’approche reste identique : valoriser les retombées d’une direction générale africaine pour l’UNESCO tout en nouant des partenariats sectoriels concrets.
Il s’agit moins d’une campagne de séduction que d’une projection de convergences. Dans un monde où le multilatéralisme recherche de nouvelles formes de légitimité, le Congo-Brazzaville entend démontrer que la diplomatie culturelle peut être un facteur d’unité, de paix et de développement partagé. Entre Abuja et Ouagadougou, le message semble avoir trouvé un écho, prélude à une mobilisation que Brazzaville espère décisive dans les mois à venir.