Une trajectoire emblématique de la génération post-indépendance
La disparition de Martin M’Beri, survenue le 5 juin 2025 à Brazzaville, clôt un demi-siècle d’engagement public entamé dès les premières années de l’indépendance du Congo. Né en 1943 à Mindouli, formé au lycée Savorgnan de Brazza puis à l’École nationale d’administration de Paris, il rejoint très tôt les rouages de l’État. Devenu secrétaire général du ministère des Affaires étrangères en 1973, il est nommé tour à tour ministre de la Coopération, puis ministre d’État chargé des Relations avec le Parlement sous la présidence de Denis Sassou-Nguesso. S’il fut un technocrate respecté, son envergure s’est véritablement affirmée durant les turbulences des années 1990, lorsque la transition démocratique et les affrontements armés exigeaient des médiateurs dotés d’une légitimité trans-partisane (Jeune Afrique, 1999).
La verticalité d’un homme d’État au fil des crises politiques
À la faveur des accords de cessez-le-feu de 1999, Martin M’Beri est associé à la commission de démobilisation puis à la Conférence nationale post-conflit. Son style, empreint de courtoisie mais ferme sur les principes, lui vaut le surnom de « sage du Pool » dans la presse locale (Les Dépêches de Brazzaville, 2002). Délégué aux négociations de paix de Ndounga, il milite pour l’intégration des anciens combattants dans les forces de sécurité, anticipant la doctrine onusienne DDR – désarmement, démobilisation, réinsertion – appliquée plus tard au Soudan du Sud. Ses détracteurs lui reprocheront toutefois une fidélité indéfectible au pouvoir ; ses partisans, eux, soulignent sa capacité à « parler vrai » au chef de l’État.
L’artisan méconnu du Dialogue national de 2015 et de son prolongement
Nommé secrétaire permanent du Dialogue national en 2014, Martin M’Beri orchestre l’assemblée de 2015 qui aboutit à l’adoption d’un corpus de 246 recommandations sur la gouvernance électorale et la décentralisation (Agence congolaise d’information, 2016). Si plusieurs dispositions demeurent inachevées, son sens du consensus permet de maintenir à la table des pourparlers des acteurs aussi antagonistes que l’UPADS et le Club 2002. En privé, explique un diplomate européen en poste à Brazzaville, « il s’évertuait à rappeler que la violence électorale n’était jamais une fatalité africaine mais une défaillance institutionnelle réparable ». En 2023, malgré le regain de tensions dans le département du Pool, il convainc les autorités d’inviter l’opposition extraparlementaire aux consultations préliminaires. Son dernier combat fut justement de plaider pour un nouveau dialogue avant la présidentielle de 2026 afin de « sortir le pays de l’engrenage de la méfiance », citation reprise dans son oraison funèbre par l’archevêque de Brazzaville.
Un legs diplomatique à l’épreuve du calendrier électoral de 2026
Au-delà du deuil, la disparition de Martin M’Beri remet en lumière la question centrale de la réconciliation nationale. Les diplomates du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine s’interrogent sur l’absence d’une personnalité disposant de la même aura pour tenir la barre du futur dialogue. Les chancelleries occidentales, encore échaudées par les soubresauts de 2016, préconisent déjà un mécanisme de facilitation externe inspiré de l’Accord d’Arusha sur le Burundi (RFI, 2024). Au Congo, plusieurs organisations confessionnelles, à l’image de la Conférence épiscopale, estiment que « le message posthume du ministre d’État doit servir de boussole, non de légende funéraire ». Dans les cercles du parti au pouvoir, la prudence domine, mais certains cadres admettent qu’un geste d’ouverture symbolique, tel que l’amnistie partielle des prisonniers politiques des troubles de 2017, pourrait honorer la mémoire du défunt.
À court terme, les observateurs s’accordent pour dire que la convocation d’un dialogue inclusif avant le dépôt officiel des candidatures, en juillet 2025, constituerait la pierre angulaire de la stabilité. À moyen terme, l’héritage de Martin M’Beri interroge la capacité des institutions congolaises à créer un espace de délibération pluraliste pérenne. La portée de sa vision se mesurera enfin à l’aune de la réforme constitutionnelle qu’il appelait de ses vœux, notamment la limitation des pouvoirs réglementaires du chef de l’État. Sa disparition laisse donc une place vacante mais aussi un cahier de route dont chaque acteur politique devra se sentir dépositaire pour que, selon sa formule, « la paix soit plus qu’une trêve : un art de gouverner ».