Calendrier resserré et déclaration de Brazzaville
Réunis début juillet à Brazzaville autour du ministre congolais des Industries minières et de la Géologie, Pierre Oba, les techniciens de l’administration, la délégation Sangha-Mining et le financier chinois Bestway ont fait le point sur le mégaprojet Mbalam-Nabeba. Alors que le lancement effectif de la production était initialement envisagé pour 2025, le directeur général de Bestway-Finance, Alexandre Mbiam, a confirmé que la première coulée de minerai sortirait des gisements dès décembre 2024, soit avec douze mois d’avance sur le calendrier de référence. Le dirigeant a évoqué « une progression très satisfaisante » des travaux d’ouverture des fosses et des infrastructures de surface.
Cette annonce illustre une cadence rarement observée dans les chantiers miniers de la sous-région, souvent freinés par la topographie, les défis climatiques ou la variabilité des cours mondiaux. Elle traduit également la volonté politique, clairement exprimée par le président Denis Sassou Nguesso, de concrétiser rapidement les retombées socio-économiques attendues pour les départements septentrionaux, tout en respectant les standards internationaux de gouvernance.
Synergie Congo-Cameroun : un laboratoire diplomatique
Fruit d’un mémorandum signé entre Brazzaville et Yaoundé dès 2009 et réactivé ces deux dernières années, Mbalam-Nabeba est souvent cité comme l’un des rares programmes réellement intégrés d’Afrique centrale. Dans un contexte où la diversification économique figure au premier rang des priorités, le président congolais et son homologue Paul Biya ont multiplié les signaux d’encouragement, persuadés que la mutualisation des ressources permettra d’optimiser les investissements lourds, en particulier la voie ferrée de plus de 700 km destinée à relier les gisements de Nabeba, Avima et Badondo au port en eaux profondes de Kribi.
Au-delà des discours protocolaires, les experts y voient un jalon supplémentaire vers la mise en œuvre effective de la Zone de libre-échange continentale africaine. Selon le politologue camerounais Patrice Nsombo, « l’axe Mbalam-Kribi pourrait, à terme, servir de dorsale logistique pour d’autres matières premières et favoriser un commerce intrarégional encore embryonnaire ».
Impact socio-économique pour la Sangha et le Sud-Cameroun
Les estimations font état de vingt mille emplois directs et indirects, répartis presque à parité entre les deux États. Côté congolais, les localités de Souanké, Pikounda et Sembé anticipent déjà une hausse de la demande en logements, services de santé et formation professionnelle. La direction de Sangha-Mining assure que 80 % de la main-d’œuvre non qualifiée sera recrutée localement, tandis que des bourses d’ingénierie minière sont en négociation avec l’Université Denis-Sassou-Nguesso de Kintélé.
Les syndicats territoriaux ont cependant rappelé la nécessité d’un cadre de dialogue social clair afin d’éviter les crispations constatées dans d’autres bassins extractifs du continent. Interrogé à Brazzaville, le directeur général des Industries minières, Awa Goga, se veut rassurant : « Le rythme de développement du projet est à la fois soutenu et concerté. Nous souhaitons bâtir un modèle où compétitivité rime avec cohésion sociale. »
Chaîne de valeur intégrée : le rail et le port comme colonne vertébrale
Le succès de Mbalam-Nabeba repose autant sur la richesse géologique – près de quatre milliards de tonnes de réserves prouvées et probables sur l’ensemble du corridor – que sur la fiabilité de l’axe logistique. Le tracé ferroviaire Badondo-Avima-Nabeba s’étendra sur cent quarante-neuf kilomètres en République du Congo avant de rejoindre Mbalam puis de plonger vers Kribi sur cinq cent quarante kilomètres additionnels au Cameroun. Bestway a confirmé que les premiers rails seront posés en parallèle de l’entrée en production, un pari audacieux mais indispensable pour expédier les vingt-cinq millions de tonnes annuelles visées à l’horizon 2027.
Le port de Kribi, récemment approfondi, constitue l’autre pilier du dispositif. Des extensions de quai sont à l’étude pour accueillir des navires de type Capesize, limitant ainsi les ruptures de charge et améliorant la compétitivité du minerai face aux géants australiens et brésiliens.
Environnement et gouvernance : la vigilance des bailleurs
La conjoncture post-COP 28 et la pression croissante des investisseurs institutionnels imposent aux porteurs du projet un cahier des charges rigoureux. Les forêts denses de la Sangha abritent une biodiversité classée au patrimoine mondial. Le ministère congolais de l’Environnement, convié à la prochaine réunion interministérielle, travaille à un dispositif de compensation carbone et à un protocole de suivi faunique, en lien avec l’Agence française de développement et la Banque africaine d’import-export.
Sur le volet de la transparence, Brazzaville a réaffirmé son engagement au processus ITIE, tandis qu’une plateforme numérique de suivi des redevances sera accessible aux communautés riveraines. « La réussite de Mbalam-Nabeba se mesurera aussi à notre capacité collective à concilier performance économique et responsabilité écologique », rappelle le consultant indépendant Franck Tchicaya.
Cap vers décembre 2024 : vigilance et optimisme mesuré
À cinq mois de la date annoncée pour la première expédition, l’ambiance est à la fois prudente et confiante. Les autorités congolaises soulignent la solidité financière de Bestway et l’expertise technique de Sangha-Mining, filiale d’un opérateur ayant déjà piloté des gisements d’hématite en Australie occidentale. Toutefois, le coût total, estimé à plus de dix milliards de dollars pour la phase industrielle complète, dépendra de la conjonction d’un marché chinois toujours porteur et d’une logistique sécurisée sur l’ensemble du corridor.
Le mégaprojet, souvent qualifié de « game changer » pour la sous-région, cristallise donc les attentes d’une population en quête d’emplois pérennes et d’infrastructures modernes. S’il atteint ses objectifs, il pourrait préfigurer un nouveau paradigme extractif en Afrique centrale, fondé sur la coopération transfrontalière et une meilleure intégration des chaînes de valeur. Pour l’heure, la montée en puissance de Mbalam-Nabeba est scrutée comme un indicateur de la capacité de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale à transformer ses ressources latentes en levier de développement tangible.