Un chantier symbolique de la coopération sud-sud
Annoncé au printemps 2024 à Souanké, le complexe minier Mbalam-Nabeba s’impose déjà comme l’un des projets les plus emblématiques de la diplomatie économique entre Brazzaville et Yaoundé. Portée avec constance par les présidents Denis Sassou Nguesso et Paul Biya, l’initiative conjugue intérêts miniers, stratégies d’intégration régionale et exigences de compétitivité dans un contexte mondial où la demande en fer ne cesse de croître. En affichant une entrée en production avancée à décembre 2024, les acteurs publics et privés entendent démontrer que l’Afrique centrale peut, selon les termes du ministre d’État Pierre Oba, « passer du potentiel à la réalisation concrète sans délai excessif ».
Des réserves estimées à près de 3,6 milliards de tonnes
Les gisements d’Avima, de Badondo et de Nabeba, tous situés dans le département de la Sangha, constituent un atout géologique majeur pour le Congo. Les estimations convergent autour de 1,5 milliard de tonnes de fer pour Nabeba, 1,4 milliard pour Avima et près de 679 millions pour Badondo. Côté camerounais, la zone de Mbalam complète cette ceinture ferrugineuse avec des teneurs appréciées par les sidérurgistes asiatiques et européens. Si le continent compte déjà des pôles producteurs, l’originalité de Mbalam-Nabeba réside dans l’adossement à une infrastructure ferro-portuaire intégrée, pensée pour réduire les coûts logistiques et accélérer la mise sur marché du minerai.
Bestway-Finance, un bailleur qui joue la montre courte
Au cœur du montage financier, la firme Bestway-Finance s’est engagée à mobiliser plusieurs milliards de dollars sur un calendrier resserré. Pour son directeur général Alexandre Mbiam, rencontré début juillet à Brazzaville, « chaque semaine gagnée sur la construction des voies ferrées constitue un avantage comparatif face aux autres projets africains ». À la différence d’investissements linéaires disséminés sur une décennie, le consortium Sangha Mining-Bestway privilégie un phasage parallèle : travaux miniers, pose des rails et préparation des jetées portuaires débutent quasi simultanément, afin d’éviter les goulots d’étranglement habituels.
Un calendrier audacieux mais supervisé par les autorités
Le 4 juillet, à l’issue d’une réunion qualifiée d’« historique » par Pierre Oba, l’administration congolaise a validé un chronogramme qui prévoit le chargement du premier train en décembre. La ligne Badondo-Avima-Nabeba (149 km) devra être raccordée sans discontinuité à la section camerounaise Mbalam-Kribi (près de 540 km). Au-delà de la prouesse technique, l’enjeu réside dans la coordination réglementaire : contrôle douanier fluidifié, certification environnementale conjointe et mécanismes fiscaux harmonisés figurent déjà dans la feuille de route présentée aux ministères des Finances, de l’Environnement et des Transports, convoqués pour la fin du mois.
Retombées économiques et sociales mesurées
Les projections officielles avancent la création directe ou indirecte de près de 20 000 emplois, répartis équitablement entre les deux rives. Dans la Sangha, l’arrivée d’ouvriers qualifiés et le développement d’entreprises de sous-traitance devraient accroître le PIB local de plusieurs points. Les universitaires de l’Institut congolais de la statistique soulignent toutefois que l’effet multiplicateur dépendra de la capacité des collectivités à investir dans la formation et dans les services publics. Conscient de cet impératif, le gouvernorat s’est engagé à rénover les axes routiers secondaires, à renforcer l’alimentation électrique et à étendre la couverture médicale autour des camps miniers.
Gestion environnementale et normes internationales
Les ONG régionales saluent la création d’un comité binational de suivi environnemental, doté d’un budget spécifique et conseillé par des experts de la Banque africaine de développement. Les études d’impact, déjà partagées avec l’Agence congolaise de protection de la nature, prévoient la limitation des coupes forestières, le réaménagement progressif des carrières et un programme de reboisement le long du tracé ferroviaire. Pour le directeur général des industries minières, Awa Goga, « conjuguer industrialisation et sauvegarde de la biodiversité n’est plus une option mais une condition d’acceptabilité sociale ».
Perspectives régionales et diplomatiques
Avec Mbalam-Nabeba, l’axe Brazzaville-Yaoundé ambitionne de devenir un laboratoire d’intégration économique en Afrique centrale. La Communauté économique des États de l’Afrique centrale y voit un corridor pilote qui pourrait, à terme, ouvrir vers la RCA ou le Gabon. Sur la scène internationale, les observateurs notent que la coordination discrète entre la Chine, principal acheteur potentiel, et les exécutifs congolais et camerounais confère à l’initiative une visibilité stratégique certaine. Au-delà des chiffres de production, c’est un modèle de gouvernance partenariale qui se dessine, conciliant souveraineté minérale et attractivité pour les capitaux étrangers. Si le succès annoncé se confirme en décembre, le projet pourrait redéfinir la cartographie du fer africain et, partant, renforcer la diplomatie économique des deux États riverains.