Signal pathologique sur les rives du fleuve Congo
L’annonce par le Pr Jean Rosaire Ibara, ministre de la Santé et de la Population, de deux cas confirmés de choléra dans le district sanitaire de l’île Mbamou a brutalement réinscrit cette pathologie dans l’actualité congolaise. Située au cœur du fleuve Congo, à quelques encablures du centre-ville de Brazzaville, l’île représente à la fois un lieu de transit fluvial et une zone résidentielle à forte densité. Ces caractéristiques géographiques et démographiques suffisent à transformer une alerte sanitaire en enjeu national, tant le continuum terre-eau favorise la diffusion des vibrions cholériques.
Au 26 juillet, l’autorité sanitaire faisait état de cent-trois cas suspects, dont douze probables malheureusement mortels. Le contexte climatique – saison des pluies tardive et crues répétées – ajoute une variable hydro-épidémiologique classique : la remontée des nappes et la fragilité des points d’eau communautaires créent des conditions idéales pour la survie du Vibrio cholerae.
Gouvernance sanitaire et synergie avec l’OMS
Le gouvernement congolais a activé, sans délai, le dispositif prévu par le Règlement sanitaire international révisé en 2005. Des équipes mixtes Ministère de la Santé-Organisation mondiale de la santé sillonnent l’île pour effectuer le dépistage, mettre en place les protocoles de réhydratation orale et intraveineuse et procéder à la chloration massive des points d’eau. « Nous devons couper court à la chaîne de transmission dans les quarante-huit heures », a déclaré un épidémiologiste de l’OMS stationné à Brazzaville, soulignant la célérité inhabituelle observée dans la mise à disposition de kits de diagnostic rapide.
Au-delà de la réponse d’urgence, cette coopération confirme la place de Brazzaville, siège régional de l’OMS pour l’Afrique, comme nœud logistique. Le gouvernement tire parti de cette proximité pour accélérer les flux de données, optimiser la distribution d’antibiotiques de première ligne et renforcer les capacités des laboratoires périphériques.
Structures locales : résilience et limites
Si la riposte initiale est saluée par plusieurs praticiens, ceux-ci pointent néanmoins les contraintes structurelles. L’unique centre de santé de Mbamou dispose d’une dizaine de lits d’isolement, un chiffre modeste au regard de la population insulaire estimée à près de dix mille habitants lors du dernier recensement. Des rotations fluviales supplémentaires ont donc été affrétées pour évacuer les patients sévères vers le Centre hospitalier universitaire de Brazzaville.
Cette mobilisation réactive s’inscrit dans le sillage du Plan national de développement sanitaire 2018-2022, prolongé jusqu’en 2024, qui promeut la décentralisation des soins primaires. Les autorités entendent transformer la crise actuelle en banc d’essai pour évaluer les progrès réalisés, en particulier la formation des agents communautaires et la disponibilité en temps réel des intrants pharmaceutiques.
Culture du risque et pédagogie préventive
Au sein des villages lacustres, la prévention passe par une diplomatie du quotidien : montrer comment faire bouillir l’eau, rappeler l’intérêt des solutions hydroalcooliques, convaincre d’abandonner la vente à la sauvette de poissons non éviscérés. Des leaders religieux et des associations de pêcheurs ont été associés aux campagnes radiophoniques diffusées en lingala et en kituba afin d’amplifier la portée des messages sanitaires.
Les spécialistes de santé publique soulignent qu’en matière de choléra, la modification durable des comportements explique jusqu’à 80 % de la réduction de l’incidence. D’où l’insistance gouvernementale sur la sensibilisation plutôt que sur la répression : l’accès gratuit aux pastilles de purification de l’eau dans les dispensaires est présenté comme une incitation pragmatique à l’hygiène.
Enjeux régionaux et horizon de long terme
L’épidémie de Mbamou s’insère dans une dynamique régionale plus large : le corridor fluvial Congo-Ubangi a enregistré des flambées sporadiques au cours des cinq dernières années, souvent imputées aux déplacements transfrontaliers. Brazzaville, Kinshasa et Bangui travaillent désormais à l’harmonisation des seuils d’alerte et à la création d’un stock tampon de vaccins oraux, initiative appuyée par le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies.
Dans une perspective prospective, les autorités congolaises parient sur la modernisation des réseaux d’eau potable et d’assainissement prévue par le Programme national Eau pour tous. Selon le ministre de l’Énergie et de l’Hydraulique, la connexion de Mbamou au système d’adduction continental pourrait être effective en 2025. Pareille infrastructure réduirait drastiquement la probabilité de résurgence, tout en matérialisant le droit humain à l’eau potable.
En attendant, la veille épidémiologique reste de mise. Le professeur Ibara l’a rappelé : « La bataille décisive se gagne dans les foyers, pas seulement dans les laboratoires ». Une formule qui résume l’équilibre recherché entre réponse institutionnelle et mobilisation citoyenne, signe que la santé publique congolaise, tout en affrontant une menace ancienne, affine sa capacité d’anticipation.