Une mobilisation associative révélatrice d’un nouvel imaginaire territorial
Dans la salle sobrement décorée de la mairie de Ouenzé, à Brazzaville, le 15 juin 2025, l’Association jeunesse unie du district de Mbon pour le développement a réuni un public dense d’étudiants, de fonctionnaires et de cadres originaires de cette commune rurale située entre le plateau de Djambala et la cuvette congolaise. L’objectif de la rencontre, décliné avec gravité par le président de séance, César Minikoro, était de réinventer le lien entre la diaspora de Mbon et son territoire d’origine. L’orateur, également coordonnateur de la CONADEC, a soutenu que « le développement local ne naît pas de slogans, mais d’une conscience collective du possible ».
Cette prise de parole, ponctuée de rappels historiques et de références aux politiques nationales de décentralisation, traduit l’émergence d’une culture de la participation au sein d’une jeunesse longtemps qualifiée de “silencieuse” dans la littérature sociologique relative aux territoires périphériques.
Le diagnostic partagé : désenclavement et capital humain au cœur des enjeux
En explicitant la notion d’enjeu, César Minikoro a placé le désenclavement et l’amélioration des services de base au rang de priorités structurantes. Les souvenirs d’une période relativement prospère, entre 1980 et 1993, servent ici de repère diachronique : infrastructures scolaires et sanitaires fonctionnelles, filières vivrières dynamiques, diversité de la faune piscicole. Depuis trois décennies, l’érosion de ces acquis alimente un sentiment d’urgence partagée par quelque 4 000 habitants, dont plus de la moitié a moins de trente ans.
Les indicateurs sanitaires, selon les chefs de poste, demeurent perfectibles. Philomène Mbata, infirmière de carrière, a souligné que « la santé publique est la première assise d’une économie locale viable ». L’amélioration du plateau technique du dispensaire, combinée à la prévention communautaire, est ainsi considérée comme un préalable à toute stratégie de croissance rurale.
Atouts naturels et potentialités économiques sous-exploitées
Trois cours d’eau – Mpama, Nkéni, Lékéty – irriguent le district et soutiennent une petite irrigation gravitaire. Manioc, maïs et arachide constituent la triade vivrière, complétée par un élevage familial de porcs, cabris et bœufs. À ce socle agricole s’ajoute un climat clément dont la pluviométrie moyenne permet deux cycles culturaux. Or, l’analyse des flux commerciaux montre que plus de 60 % de la production est écoulée de façon informelle, faute de routes praticables en saison des pluies.
Sur le plan touristique, la présence de savanes habitées par buffles et éléphants, d’une grotte à la géologie singulière et de vallées poissonneuses nourrit l’espoir d’un écotourisme contrôlé, conforme aux orientations du ministère en charge de l’Économie forestière. Le déploiement progressif du réseau Airtel dans les principaux villages, en offrant une connectivité numérique, ouvre également des perspectives d’entrepreneuriat digital pour une jeunesse connectée.
La stratégie générationnelle : de la conscientisation au plaidoyer
Pour transformer ces potentialités en leviers de développement, l’AJUDD prône une approche fondée sur le triptyque changement des mentalités, gouvernance inclusive et ingénierie de projet. Concrètement, l’association veut instaurer des rencontres citoyennes trimestrielles, mutualiser les expertises d’ingénieurs agronomes issus de la diaspora et construire un guichet unique pour l’accompagnement des micro-projets agricoles. Les plaidoyers auprès des autorités départementales, en cours de formalisation, s’inspirent des outils de la planification participative consacrés par les textes de la décentralisation.
Dans cet esprit, les intervenants ont appelé à « dépolitiser les opportunités » et à combattre l’esprit de division qui fragmente les solidarités lignagères. En sociologie des transformations rurales, cette quête d’unité apparaît comme le ressort symbolique indispensable à la coproduction de biens publics locaux.
Convergences avec la dynamique nationale de modernisation rurale
Les ambitions portées par la jeunesse de Mbon coïncident avec les orientations du Plan national de développement 2022-2026, qui promeut l’agro-industrie, les infrastructures d’accès et la santé communautaire. La coopération déjà instaurée avec l’antenne départementale du Fonds d’entretien routier témoigne d’une compatibilité d’agendas. Les partenaires techniques internationaux, notamment la FAO, ont été approchés pour des programmes pilotes sur la diversification agricole.
Aux yeux des diplomates présents, la démarche illustre la capacité d’un district à articuler initiative populaire et cadres institutionnels. Loin de se placer en concurrence avec les politiques publiques, l’AJUDD se veut un relais de terrain, mobilisant capital social et connaissances endogènes afin de catalyser les investissements publics et privés.
Vers un pacte territorial de responsabilité partagée
La clôture de la conférence, marquée par un appel à « aimer Mbon avant de demander à Mbon de nous aimer », a réaffirmé l’idée d’un pacte territorial où chaque segment – jeunes, élus, diaspora, État – s’engage selon ses capacités. Les sociologues de la participation territoriale considèrent que ce type d’engagement scelle symboliquement le passage d’une culture de la plainte à celle de l’action.
Si les défis logistiques restent nombreux, l’environnement institutionnel est jugé propice : volontarisme des autorités départementales, opportunités de partenariats public-privé et montée en compétences d’une jeunesse formée à Brazzaville. Les prochains mois diront si l’élan de juin 2025 se convertira en programmes concrets, mais la dynamique enclenchée démontre que Mbon refuse désormais la fatalité du retard périphérique.