Un Mbongui qui interroge la gouvernance inclusive
Organisé du 29 au 31 juillet sous l’égide de la Journée internationale de la femme africaine, le cinquième Mbongui a transformé Brazzaville en agora continentale. Autour de la promotrice Splendide Lendongo Gavet, militantes, constitutionnalistes, diplomates et décideurs ont réfléchi aux ressorts d’un pouvoir partagé, en particulier à l’inévitable intégration du genre et des personnes vivant avec handicap dans les processus décisionnels. La tonalité des débats s’est voulue constructive, convoquant à la fois l’expertise et l’expérience des participantes pour jeter les bases d’une gouvernance plus représentative.
Les intervenantes ont souligné qu’une inclusion effective ne se décrète pas, elle se construit par la réforme des textes, la formation des cadres et la mobilisation budgétaire. La récente adoption au Congo de quotas paritaires dans certains organes délibérants, saluée par plusieurs oratrices, témoigne d’une dynamique nationale déjà amorcée. « Nous devons passer d’une logique de plaidoyer à une logique de résultats mesurables », a résumé une juriste originaire d’Afrique australe, appelant à l’alignement sur les engagements de l’Union africaine et de la CEA.
Sans jamais verser dans la posture contestataire, les participantes ont rappelé que l’élargissement du cercle décisionnel constitue un levier de stabilité sociopolitique. Plus la femme africaine participe aux arbitrages, plus la légitimité institutionnelle se consolide et plus les politiques publiques gagnent en pertinence, notamment dans la protection sociale et la cohésion territoriale.
Innovation féminine et mutation numérique
Point d’orgue du forum, le hackathon réservé aux jeunes développeuses a illustré la montée en compétence technologique d’une génération parfaitement à l’aise avec les langages de programmation. Santé connectée, agritech ou fintech inclusive : les prototypes présentés confirment que la révolution numérique n’est plus l’apanage des pôles de la Silicon Savannah. « Vous êtes les architectes du futur », a martelé la promotrice en remettant les prix, insistant sur la nécessité pour les pouvoirs publics d’accompagner ces élans créatifs par des incubateurs et des marchés publics ouverts aux PME dirigées par des femmes.
L’enjeu dépasse le simple affichage. Les statistiques de la Commission économique pour l’Afrique indiquent que moins de 30 % des emplois high-tech sont aujourd’hui occupés par des femmes. Accélérer la féminisation des filières STEM répond donc à une exigence d’efficacité économique et de diversification, en ligne avec les ambitions du Plan national de développement 2022-2026 adopté par le gouvernement congolais.
Entrepreneuriat durable, vecteur de souveraineté
Les tables rondes consacrées à l’entrepreneuriat ont mis en exergue la dimension stratégique des micro et petites entreprises dirigées par des femmes. Dans un contexte marqué par les chocs exogènes – fluctuations des cours des matières premières, incertitudes climatiques – ces structures constituent des amortisseurs sociaux et des relais de souveraineté productive. Plusieurs success-stories, de la transformation du manioc en produits à haute valeur ajoutée à la chaîne textile intégrant le pagne local, ont été disséquées pour identifier les facteurs clés de pérennité : accès au crédit, formation continue, normes qualité et insertion dans la commande publique.
Les échanges ont également rappelé l’importance d’une fiscalité incitative pour les secteurs verts. Les participantes ont salué les réformes entreprises à Brazzaville pour simplifier la création d’entreprise et réduire les coûts de formalisation. « Quand une femme ruralise la valeur ajoutée, c’est tout un écosystème territorial qui s’émancipe », a illustré une économiste congolaise, dénonçant néanmoins les barrières subsistantes dans l’accès au foncier.
Valoriser les savoirs endogènes, enjeu culturel et économique
Au-delà des matrices financières, le Mbongui a rappelé que le développement durable s’enracine dans les connaissances traditionnelles. Pharmacopée, tissage, art culinaire : autant de corpus patrimoniaux susceptibles de générer des chaînes de valeur si leur propriété intellectuelle est protégée et si l’on favorise la rencontre entre artisanat et innovation. Les oratrices ont notamment évoqué le potentiel de la certification géographique pour les produits emblématiques, suivant l’exemple du cacao camerounais ou de l’huile de Bandiagara.
Le ministère congolais de l’Industrie culturelle et la Chambre de commerce ont annoncé leur intention de structurer un label « Made in Congo » intégrant une approche genre, signe que les réflexions du Mbongui infusent déjà dans les institutions. D’un point de vue sociologique, cette reconnaissance confère aux femmes un rôle de passeuses de mémoire et de productrices de richesse, redéfinissant le contrat social entre ruralité et modernité.
Perspectives institutionnelles sous l’angle du genre
À l’issue des travaux, les recommandations intègrent un calendrier de suivi assorti d’indicateurs, afin d’éviter l’écueil du rapport sans lendemain. L’idée directrice reste de transformer le plaidoyer en politiques publiques transversales, depuis l’éthique de l’intelligence artificielle jusqu’à la planification budgétaire sensible au genre. La Commission congolaise des droits de l’homme, présente dans les ateliers, a proposé d’établir un baromètre annuel, outil de mesure qui pourrait inspirer la sous-région.
La conjoncture géopolitique encourage par ailleurs la création de coalitions féminines panafricaines capables de dialoguer directement avec les organisations multilatérales. Inscrite dans l’Agenda 2063 de l’Union africaine, l’égalité de genre devient un critère de compétitivité et d’attractivité pour les États. Le Congo-Brazzaville, par sa tradition de diplomatie de dialogue, dispose d’une fenêtre d’opportunité pour promouvoir ces convergences et faire du Mbongui un marqueur annuel de son engagement.
En filigrane, la cinquième édition du Mbongui aura démontré qu’une émancipation sans exclusion, articulée autour de l’innovation et du patrimoine, sert tout autant l’efficience de l’action publique que la cohésion sociétale. C’est là peut-être l’enseignement principal : le leadership féminin ne constitue pas une concession, il est désormais l’une des conditions de la soutenabilité du développement africain.