La fermeture de 2021 : genèse institutionnelle d’une pause
Lorsque les portes du site « Mont Carmel » se sont refermées en 2021, la mesure avait surpris par sa fermeté. Officiellement, le gouvernement invoquait un nécessaire réajustement administratif et sanitaire, dans un contexte où la prolifération des grands rassemblements religieux interrogeait la capacité de l’État à garantir la sécurité publique. Cette décision s’inscrivait dans une politique de régulation plus large, impulsée par la Direction générale des Affaires religieuses, visant à harmoniser les pratiques cultuelles et à prévenir les dérives sectaires. L’initiative, saluée par certains observateurs pour sa vigilance préventive, fut reçue comme un choc par des fidèles habitués à considérer Mont Carmel comme un espace quasi sacré, à mi-chemin entre retraite spirituelle et agora communautaire.
Un sanctuaire à haute densité symbolique
Le lent silence qui s’est abattu sur le plateau dominant les faubourgs de Brazzaville n’a jamais altéré la charge symbolique du lieu. Depuis la création du Ministère chrétien du combat spirituel-Congo par le couple Olangui dans les années 1990, Mont Carmel a cultivé une fonction d’interface entre horizon spirituel et dynamisme social. Les travaux d’urbanistes notent que le site, par son architecture composite, canalise un imaginaire de “Canaan” où sacré et politique se croisent discrètement. Des entrepreneurs y voient un incubateur de réseaux de solidarité, là où les sociologues identifient un laboratoire de recomposition identitaire, transcendant clivages ethniques et générationnels.
Résilience collective et diplomatie interne
Durant la parenthèse de trois ans, le MCCS-Congo a mobilisé un arsenal de solidarité qui dépasse la stricte assistance spirituelle. Groupes de prières décentralisés, entraide logistique et campagnes numériques ont entretenu la cohésion. « La fermeture a été pour nous un désert qui forge la patience », souligne l’apôtre Jean Baptiste Bafoungissa. Cette résilience n’est pas seulement l’affaire des fidèles ; elle a aussi impliqué un dialogue méthodique avec les autorités locales, signe d’une diplomatie interne fondée sur l’écoute et la recherche de compromis. Au fil des mois, des audits de sécurité, des mises aux normes et des sessions de formation sur la prévention des mouvements de foule ont préparé le terrain à un retour en confiance.
Le 27 juillet 2024 : rites de réouverture et récit biblique
Lorsque le bishop Néhémie Kabeya cite le verset de Josué « Passe ce Jourdain », le parallélisme entre récit scripturaire et actualité institutionnelle est manifeste. La liturgie du 27 juillet a minutieusement articulé louange et pédagogie civique. Dans son homélie, l’apôtre Bruno Jean Richard Itoua rappelle que « c’est ici que nous avons cherché Dieu », insistant sur la continuité historique du ministère. Les responsables ont également salué la « confiance renouvelée » des pouvoirs publics, soulignant que la reprise des cultes procède à la fois d’un effort de mise en conformité et d’une volonté gouvernementale d’encourager les expressions religieuses dans le cadre légal. Pour les diplomates présents, l’instant offrait le spectacle rare d’un consensus entre État et société civile autour de la liberté de culte.
L’enjeu stratégique de la régulation religieuse
L’État congolais, à l’instar de ses pairs d’Afrique centrale, doit composer avec un paysage confessionnel foisonnant. À la différence d’une laïcité d’exclusion, la posture brazzavilloise privilégie le partenariat. En réouvrant Mont Carmel, les autorités signent la maturité d’un dispositif de contrôle partagé, fondé sur la reconnaissance mutuelle des responsabilités. Les chercheurs en sciences politiques y voient une gouvernance collaborative, où la légitimité institutionnelle se consolide par la co-production de normes avec les acteurs religieux. Dans une région où la foi structure souvent l’opinion, le maintien d’un dialogue constructif contribue à la stabilité, condition sine qua non pour les chantiers de diversification économique et d’intégration sous-régionale.
Perspectives : vers une nouvelle grammaire du vivre-ensemble
À court terme, le MCCS-Congo prévoit la reprise graduelle de ses grands pèlerinages annuels, tout en limitant l’affluence à des jauges négociées. À moyen terme, certains envisagent de transformer Mont Carmel en pôle de formation théologique et citoyenne, adossé à des projets de développement local. Au-delà de ces ambitions, la réouverture interroge la capacité des institutions à accompagner la vitalité des mouvements de réveil sans brider leur créativité. En tendant la main aux responsables cultuels, le gouvernement donne un signal de confiance, conforme à la tradition de dialogue prôné par le président Denis Sassou Nguesso. C’est peut-être là la leçon sous-jacente du 27 juillet : la concorde, plus qu’un mot d’ordre, se révèle un processus patient où la parole publique et la ferveur religieuse apprennent à conjuguer leurs temporalités.