Une vocation rurale en quête d’efficience
À quelque 285 kilomètres au nord de Brazzaville, la cité de Mouyondzi demeure l’un des greniers historiques du département de la Bouenza. Manioc, arachide et légumineuses irriguent depuis des décennies les marchés régionaux, mais la rudimentarité des outils et l’irrégularité des précipitations ont longtemps limité la montée en gamme de cette production. « Notre capital agricole est réel, il nous appartient désormais de le convertir en valeur ajoutée », confie la maire Anne Marie Claudine Kabala, rencontrée dans son bureau boisé qui surplombe la vallée de la Louama.
L’enjeu de la structuration coopérative
La première magistrate entend faire émerger une économie d’échelle fondée sur les groupements de producteurs. Inspirée par les succès observés dans la Cuvette et sur le plateau des Bateke, elle mise sur la mutualisation des intrants, la négociation collective des prêts et la formation continue. « Un agriculteur isolé est vulnérable, un collectif gagne en crédibilité face aux banques », insiste-t-elle. Le ministère en charge de l’Agriculture encourage cette transition vers le modèle coopératif, jugé compatible avec la Stratégie nationale de sécurité alimentaire horizon 2030, validée en Conseil des ministres.
Chaînes de valeur et entrepreneuriat rural
Au-delà de la production primaire, le projet municipal cible les segments d’aval. Micro-transformation du manioc en gari, conditionnement sous vide des arachides, vente directe via des plateformes numériques : autant de niches identifiées lors d’un atelier technique soutenu par l’Agence française de développement et la Banque mondiale. Selon une étude conjointe AFD-Université Marien Ngouabi, chaque franc investi dans la transformation locale pourrait générer jusqu’à 2,4 francs de revenu additionnel pour les ménages. La mairie, qui négocie la création d’une zone d’activités rurales, veut attirer de petites unités semi-industrielles en leur garantissant fiscalité incitative et accès sécurisé à la terre.
L’eau, matrice du développement territorial
Toute stratégie agricole se heurte cependant à la contrainte hydrique. Les trois mois de saison sèche voient les rivières se contracter, obligeant femmes et enfants à parcourir plusieurs kilomètres pour puiser une eau parfois douteuse. Avec l’appui technique d’ingénieurs marocains et un financement envisagé auprès de la Banque africaine de développement, Mouyondzi projette de réhabiliter 27 forages et de poser 18 kilomètres de conduites en PVC haute pression. Objectif : porter le taux de desserte en eau potable de 42 % à 85 % d’ici cinq ans et réduire les affections hydriques qui, selon la direction départementale de la santé, mobilisent encore 30 % des consultations pédiatriques.
Convergence avec les orientations nationales
La démarche municipale ne s’inscrit pas en marge des politiques publiques, bien au contraire. Elle vient prolonger le Plan national de développement 2022-2026 qui fait de l’agrobusiness et de l’hydraulique villageoise deux piliers de la diversification économique. Fin 2023, lors d’une table ronde à Oyo, le président Denis Sassou Nguesso rappelait « la nécessité absolue d’un aménagement équilibré du territoire, afin que chaque district transforme ses atouts en richesses partagées ». À Mouyondzi, le propos trouve un écho opérationnel : la mairie envisage un guichet unique capable de guider les investisseurs, depuis l’obtention du titre foncier jusqu’au raccordement électrique, tandis qu’un partenariat avec l’ONG allemande Welthungerhilfe devrait renforcer l’assistance technique auprès des agriculteurs.
Perspectives et arbitrages budgétaires
Le financement global des deux volets – agricole et hydraulique – est évalué à 7,6 milliards de francs CFA. L’enveloppe reste modeste à l’échelle nationale, mais représente près de trois fois le budget annuel actuel de la collectivité. Anne Marie Claudine Kabala table sur un montage hybride combinant subvention de l’État, emprunt concessionnel et contribution des diasporas. Les négociations avancent, assure-t-elle, évoquant une signature possible dès le second semestre. Si le calendrier est tenu, les premières plantations en régie coopérative pourraient voir le jour dès la prochaine grande saison des pluies, tandis que les forages prioritaires commenceraient à distribuer une eau chlorée avant l’étiage de 2025.
Un laboratoire rural à suivre
Mouyondzi, qui fut jadis qualifiée de simple bourg agricole, aspire désormais au statut de laboratoire rural, à la fois pour la Bouenza et pour l’ensemble du pays. En articulant agro-transformation et sécurisation hydrique, la commune tente de démontrer qu’un district peut contribuer à la souveraineté alimentaire tout en renforçant la cohésion sociale. Les partenaires étrangers observent avec intérêt cette montée en puissance locale, jugée complémentaire des grands projets d’infrastructures impulsés par l’État. Reste à traduire les intentions en réalisations tangibles : du sillon au robinet, la trajectoire de Mouyondzi sera scrutée comme un baromètre de la décentralisation économique congolaise.