Brazzaville, pivot d’un septième art au féminin
La décision de tenir la première édition du Festival Mwassi Film d’Afrique Ô Féminin au cœur de Brazzaville ne relève pas du hasard. Capitale politique et carrefour culturel d’Afrique centrale, la cité congolaise se positionne depuis plusieurs années comme un laboratoire de diplomatie culturelle, à la croisée des circuits francophones et lusophones. Selon le sociologue des industries créatives Julien Kimbuta, « le choix de Brazzaville traduit la volonté d’adosser la visibilité des artistes féminines à un territoire déjà identifié pour sa stabilité institutionnelle et ses infrastructures d’accueil ». Un argument qui rejoint l’engagement affiché par les autorités pour faire des arts visuels un vecteur d’influence douce, complémentaire des grands projets d’intégration régionale.
Des voix féminines pour déconstruire les tropes visuels
Pendant onze jours, près d’une cinquantaine de courts et longs métrages issus de 18 pays d’Afrique seront projetés, mettant en scène une pluralité de récits portés par des femmes réalisatrices, scénaristes ou actrices. L’objectif déclaré est de revisiter la représentation du féminin, longtemps filtrée par des prismes masculins ou occidentalisés. « Nous ne brandissons pas un étendard contre qui que ce soit, nous proposons des imaginaires inédits », explique la programmatrice et cinéaste congolaise Diane Mabiala, cofondatrice du festival. Les films sélectionnés explorent des thématiques aussi diverses que la mémoire post-conflit, la transmission intergénérationnelle ou la résilience face aux mutations économiques. Ce parcours visuel, soigneusement articulé, se veut à la fois esthétique et politique, dans l’acception arendtienne du terme : agir dans l’espace public pour redéfinir la citoyenneté.
Formation et transmission, moteurs d’un écosystème inclusif
Au-delà de la célébration symbolique, Mwassi propose une ingénierie de formation pensée pour structurer la chaîne de valeur du cinéma. Des ateliers de réalisation, de montage et de direction d’acteurs seront animés par des professionnelles reconnues, parmi lesquelles Pierre-Manau Ngoula ou Valérie Ossouf. Comme le souligne la directrice de production Florence Okoumba, « la transmission de savoirs techniques est indispensable pour faire émerger une génération capable de négocier ses droits dans un marché globalisé ». Le dispositif phare, un concours de courts-métrages réservé aux Congolaises, attribuera une résidence de création et des bourses de production, autant d’outils destinés à renforcer l’autonomie économique des lauréates. Cette logique d’empowerment individuel rejoint les orientations du Plan national de développement, qui préconise l’entrepreneuriat féminin comme levier de croissance inclusive.
Une diplomatie culturelle aux résonances régionales
L’ancrage du festival dans le Bassin du Congo confère à l’événement une dimension transfrontalière. Plusieurs déléguées du Gabon, de la République démocratique du Congo et du Cameroun participeront aux tables rondes consacrées aux mécanismes de coproduction. Selon le politologue Achille Mabiala, « les alliances culturelles régionales consolident la libre circulation des œuvres et renforcent la position de l’Afrique centrale sur la carte géopolitique du cinéma ». Le ministère congolais de la Culture, partenaire officiel, entend capitaliser sur cette dynamique pour attirer de nouveaux investisseurs et mutualiser les fonds d’aide existants. En filigrane, l’État manifeste son ambition de promouvoir un soft power fondé sur la créativité féminine, complémentaire des initiatives panafricaines telles que le Fespaco à Ouagadougou.
Perspectives d’un marché réinventé par le regard des femmes
Au-delà de 2025, les organisateurs envisagent déjà une itinérance du festival vers Pointe-Noire, Kinshasa ou Libreville, afin de consolider un réseau de salles partenaires et de publics diversifiés. Les premiers contacts avec des plateformes de vidéo à la demande laissent augurer une diffusion numérique susceptible d’élargir, voire de monétiser, les audiences. Pour la chercheuse en économie culturelle Laetitia Epoma, « l’inclusion de femmes aux postes de décision favorise des récits plus nuancés, ce qui, paradoxalement, maximise la valeur marchande du catalogue ». Mwassi, en créant un espace de dialogue régulier entre créatrices, financeurs et décideurs publics, inscrit Brazzaville dans une trajectoire où l’équité de genre devient un indicateur de compétitivité. Signe d’un temps nouveau, la clôture du festival se fera par la signature d’un manifeste prônant l’accès égalitaire aux financements et aux réseaux de distribution. Une manière de rappeler que, désormais, le projecteur se braque sur l’avenir, et qu’il porte un nom en lingala : Mwassi, la femme.