Un rendez-vous stratégique pour la diplomatie économique congolaise
Du 18 au 20 novembre, la capitale congolaise se muera en forum d’influence où décideurs publics, investisseurs et opérateurs se rencontreront à la faveur de la première édition du Salon international « Nabemba Tourism Expo ». Sous le patronage du ministère de l’Industrie culturelle, touristique, artistique et des loisirs, la manifestation se veut un instrument souple de diplomatie économique : elle associe le secteur privé, incarné par Wild Safari Tours, à la puissance publique, afin de repositionner le Congo comme acteur central du tourisme en Afrique centrale.
En choisissant Brazzaville, ville historique et carrefour administratif de la CEMAC, les organisateurs entendent capitaliser sur une connectivité aérienne en progression et un tissu hôtelier qui s’est modernisé depuis la relance des investissements d’infrastructures amorcée en 2014. L’objectif affiché est limpide : inscrire le tourisme dans l’agenda post-pétrole, segmenter l’offre pour séduire autant les voyageurs d’affaires que les amateurs d’écotourisme, tout en consolidant l’image d’un Congo pacifique et ouvert.
Tourisme interne : clé de voûte d’une diversification post-pétrole
Placée sous le thème « Tourisme interne, enjeux et défis au cœur du changement climatique », l’édition inaugurale fait de la consommation domestique un levier prioritaire. Les statistiques de l’Organisation mondiale du tourisme indiquent que 60 % des recettes du secteur proviennent, en Afrique, de voyageurs nationaux. En renforçant la circulation intra-régionale, le Congo espère amortir la volatilité des arrivées internationales et fidéliser une classe moyenne urbaine en quête de loisirs patrimoniaux.
Ce repositionnement interne complète la stratégie nationale de diversification économique inscrite dans le Plan national de développement 2022-2026. Pour de nombreux analystes, y compris la Banque africaine de développement, la croissance inclusive passera par des filières créatrices d’emplois non délocalisables ; le tourisme figure en tête de liste avec une capacité d’absorption estimée à 30 000 emplois d’ici 2030 si les investissements suivent les prévisions.
Patrimoine naturel et changement climatique : conjuguer conservation et croissance
Le Congo abrite 10 % des forêts tropicales d’Afrique et plus de 13 000 km² de zones classées, dont le parc national d’Odzala-Kokoua, souvent comparé au Serengeti pour sa densité faunique (Wildlife Conservation Society, 2023). Cette richesse écologique nourrit un modèle d’écotourisme encore embryonnaire, freiné par des coûts d’accès et une logistique complexe. La Nabemba Tourism Expo ambitionne de créer des synergies entre opérateurs de terrain et bailleurs multilatéraux, afin de bâtir des produits respectueux des communautés locales et compatibles avec la finance carbone.
Les ateliers consacrés à l’adaptation climatique exploreront notamment les mécanismes REDD+ et les obligations vertes, déjà testés par le gouvernement pour financer la conservation. Le but est double : monétiser le service environnemental rendu par les forêts congolaises et transformer cette valeur en infrastructure touristique durable, du lodge bas-carbone à la signalétique numérique dans les aires protégées.
Alliances public-privé : un laboratoire d’innovations inclusives
Fondée en 2016 par Francel Emerancy Ibalank, Wild Safari Tours revendique une approche « glocale » : promouvoir la destination Congo sur les marchés américains ou asiatiques tout en incubant des micro-entreprises villageoises pour la gastronomie, l’artisanat ou la mobilité douce. Ce modèle illustre la mutation d’un secteur longtemps dépendant des grands tours-opérateurs étrangers vers une chaîne de valeur plus ancrée dans les territoires.
Le Salon servira de plateforme de matchmaking afin d’agréger les capitaux et les compétences. La Société nationale des Pétroles du Congo, engagée dans une politique RSE renforcée, a déjà laissé entendre qu’elle pourrait cofinancer des infrastructures d’accueil à Mbé ou dans les Plateaux Batéké, renforçant ainsi la logique de solidarité inter-sectorielle que préconisent les institutions régionales.
Brazzaville, hub sous-régional : capitaliser sur la connectivité de la CEMAC
Le corridor fluvial Congo-Oubangui-Sangha et la récente modernisation de l’aéroport Maya-Maya confèrent à Brazzaville un statut de plaque tournante pour l’Afrique centrale. Les prochains vols directs annoncés vers Douala et Bangui devraient fluidifier la circulation des visiteurs pendant la Nabemba Tourism Expo, facilitant la coordination avec les offices de tourisme voisins, en particulier la République démocratique du Congo et le Gabon.
Dans un contexte de relance post-Covid où la région mise sur l’harmonisation des visas CEMAC, le Salon représente une fenêtre d’expérimentation grandeur nature. Les experts du Conseil économique et monétaire soulignent que chaque touriste régional supplémentaire génère, en moyenne, 650 dollars de valeur ajoutée locale. Le pari est donc autant géopolitique qu’économique : transformer Brazzaville en pivot d’un espace touristique intégré.
Vers une marque Congo unifiée : enjeux de communication et d’image
Au-delà de l’événementiel, c’est la construction d’une marque pays cohérente qui se joue. Les campagnes successives « Destination verte par nature » ont installé un imaginaire forestier fort, mais peinent encore à convertir l’intention de voyage en séjours effectifs. Les communicants planchent sur une charte visuelle harmonisée, susceptible de décliner le pavillon national depuis les salons internationaux jusqu’aux réseaux sociaux, afin de gagner la bataille de l’algorithme.
Le directeur général de l’Office de promotion de l’industrie touristique rappelle d’ailleurs que « la perception est une ressource ». À l’heure où la concurrence africaine se densifie, la Nabemba Tourism Expo doit faire figure de vitrine crédible, prouvant que le Congo dispose des compétences hôtelières, des standards sanitaires et d’un climat des affaires suffisamment prévisible pour rassurer les capitaux privés. Les retombées attendues iront bien au-delà des trois jours du Salon ; elles s’inscrivent dans une trajectoire de souveraineté narrative et de résilience économique fidèle aux ambitions du président Denis Sassou Nguesso.