Une bataille symbolique au cœur du multilatéralisme
Depuis le lancement officiel de la campagne citoyenne de la Confédération africaine des associations et clubs Unesco à Yamoussoukro, la candidature de Firmin Édouard Matoko s’est imposée comme un test grandeur nature de la capacité africaine à peser collectivement dans un système multilatéral en recomposition. L’Unesco, institution normative par excellence, est traversée par les interrogations sur son financement et sur la représentativité de sa gouvernance. Dans ce contexte, l’hypothèse d’une direction générale issue d’Afrique centrale renvoie à la question, longtemps débattue, de l’équilibre géopolitique interne des Nations unies. Interrogé à Brazzaville, un diplomate sénégalais résume le sentiment partagé : « Il ne s’agit pas seulement de soutenir un ressortissant de la sous-région, mais de redonner à l’organisation une perspective réellement universelle ».
L’itinéraire singulier de Firmin Édouard Matoko
Ancien sous-directeur général en charge de la priorité Afrique et des relations extérieures, M. Matoko a parcouru durant trois décennies tous les méandres institutionnels de l’Unesco. Formé aux sciences de l’éducation, puis à la gestion publique à Paris, il s’est d’abord illustré comme promoteur de la Convention sur la diversité culturelle avant de piloter, de 2018 à 2022, l’initiative « Gouvernance et paix » au Sahel. Son profil combine la connaissance technique des programmes et une perception aiguë des équilibres géopolitiques. « Il conjugue expertise sectorielle et diplomatie discrète », souligne la sociologue ivoirienne Awa Kouyaté, qui voit en lui « un passeur entre les agendas de développement et les exigences de rayonnement symbolique propres à l’Unesco ».
Une mobilisation panafricaine en construction
La tournée de la Cacu, entamée en Afrique de l’Ouest, s’étendra dans les semaines à venir à l’Afrique australe avant de culminer à Addis-Abeba auprès de la Commission de l’Union africaine. L’enjeu consiste à fédérer le vote des 54 États membres, souvent fragmenté par des considérations linguistiques ou sous-régionales. À Abidjan, le président Alassane Ouattara a d’ores et déjà apporté un soutien « sans réserve » à la candidature congolaise, tandis que la SADC se dit « ouverte à un consensus africain solide ». Pour la chercheuse kenyane Mary Wanjiru, « la fenêtre d’opportunité est réelle ; à condition d’éviter la dispersion observée lors des scrutins précédents ». Dans les capitales, les chancelleries s’activent afin de convertir cet élan symbolique en un bloc de votes cohérent lors du Conseil exécutif d’octobre.
Soft power congolais et dynamique régionale
Au-delà de la trajectoire individuelle du candidat, c’est aussi l’image d’un Congo-Brazzaville engagé dans la diplomatie culturelle qui se dessine. Depuis plusieurs années, Brazzaville renforce sa présence dans les fora internationaux, qu’il s’agisse de la Zone de libre-échange continentale africaine ou du Conseil des droits de l’homme. L’appui gouvernemental à la campagne Matoko participe de cette stratégie de visibilité et d’influence, tout en s’inscrivant dans la tradition congolaise de défense de la diversité linguistique et patrimoniale. Selon le politiste camerounais Jean-Marc Tchassem, « l’État congolais perçoit l’Unesco comme une tribune pour valoriser son patrimoine immatériel, mais aussi pour consolider sa diplomatie de paix sur le continent ».
Vers un scrutin à haute intensité diplomatique
À Paris, où se déroule le délicat ballet des négociations, les délégations achèvent de formaliser les plateformes d’engagement. Face à Firmin Édouard Matoko, deux candidats d’Amérique latine et d’Europe multiplient les démarches auprès des grands bailleurs. Si le poids financier demeure un argument, la crise de légitimité qui a secoué l’organisation en 2017 rehausse la valeur d’une lecture politique des candidatures. Dans les couloirs de la place de Fontenoy, beaucoup saluent la capacité d’écoute du diplomate congolais et sa familiarité avec les impératifs de réforme interne. En définitive, l’élection d’octobre sera autant un vote sur la personne qu’une délibération sur la place de l’Afrique dans la gouvernance mondiale de la culture et de l’éducation.
Quelle portée pour l’Afrique et pour l’Unesco ?
Si M. Matoko l’emporte, l’Afrique prendrait pour la seconde fois seulement la tête de l’agence onusienne, un demi-siècle après le passage du Sénégalais Amadou-Mahtar M’Bow. Au-delà du symbole, l’enjeu programmatique est déterminant : priorité aux politiques éducatives inclusives, adaptation des outils de sauvegarde du patrimoine à l’ère numérique, financement innovant face au désengagement de certains États. Dans tous les cas, la campagne actuelle rappelle que le multilatéralisme demeure un espace de négociation où le capital humain, la narration stratégique et la solidarité régionale peuvent encore infléchir les rapports de force. Pour Brazzaville comme pour l’ensemble du continent, la séquence 2025 s’annonce donc comme un moment de vérité diplomatique et culturelle.