Pointe-Noire se prépare à vibrer au rythme des mots
Le 2 août, l’esplanade Yaro, vaste agora populaire du quatrième arrondissement, se transformera en amphithéâtre à ciel ouvert. Sous le titre évocateur « Le soir au Bongui », la compagnie Nzonzi entend conjuguer la puissance évocatrice du verbe et le souffle ancestral de la percussion. À l’heure où la création contemporaine explore parfois des formes numériques, ce détour par l’oralité revendique une esthétique résolument enracinée dans les patrimoines bakongo et téké, tout en s’adressant à un public urbain avide de nouvelles expériences sensibles.
Rayonnement des traditions orales congolaises
Qu’il s’agisse du mokanda, art de la parabole éducative, ou des improvisations polyrythmiques issues des rituels initiatiques, l’oralité fait figure de matrice identitaire au Congo. « Nous voulons rappeler que la voix, accompagnée du tam-tam, fut la première bibliothèque du peuple », souligne Emery Mayanda, directeur artistique de Nzonzi. En ravivant ce corpus de récits, le spectacle s’inscrit dans la longue trajectoire des griots d’Afrique centrale, passeurs de mémoire collective autant que médiateurs sociaux.
Un écosystème de la parole vivante
La manifestation ne se limite pas à un simple moment de divertissement. Les organisateurs ont prévu une collecte de soutien afin d’assurer des bourses de mobilité pour les jeunes conteurs de districts voisins, convaincus qu’un réseau robuste d’artistes itinérants consolide la cohésion interrégionale. Cette logique s’accorde avec le Plan national de développement culturel qui encourage, depuis 2022, l’émergence de micro-pôles créatifs dans les principales agglomérations du littoral. Pour plusieurs observateurs, la réussite logistique et populaire de l’évènement servira de test grandeur nature quant à la capacité des structures indépendantes à dialoguer avec les collectivités locales.
Le rôle stratégique des compagnies indépendantes
La compagnie Nzonzi, fondée en 2015 par d’anciens pensionnaires de l’Institut national des arts, illustre cet activisme artistique conjugué au sens entrepreneurial. Son répertoire, souvent joué en plein air, privilégie les récits de migration, de résilience et de transformation urbaine, thématiques qui résonnent dans la capitale économique du pays. Selon la sociologue Marie-Claude Abouma, « les troupes autonomes pallient l’insuffisance des lieux conventionnels tout en renouvelant la grammaire scénique ». L’initiative conforte également la montée d’une économie créative fondée sur le mécénat d’entreprise et la billetterie participative, modèle hybride actuellement encouragé par plusieurs chambres consulaires.
Percussions et diplomatie culturelle
Au-delà des frontières nationales, la mise en valeur des arts de la parole s’aligne sur la stratégie de diplomatie culturelle prônée par Brazzaville dans la zone CEEAC. Les échanges récemment noués avec les festivals de contes de Boma (RDC) et de Libreville ouvrent la perspective de tournées régionales pour « Le soir au Bongui ». De telles circulations renforcent la cohérence de l’espace francophone d’Afrique centrale et contribuent, à terme, à une meilleure intégration des industries culturelles congolaises dans les marchés panafricains.
Perspectives institutionnelles et ambitions patrimoniales
Les professionnels du secteur guettent désormais la reconnaissance officielle des arts oratoires au patrimoine immatériel national, démarche déjà engagée par le ministère de la Culture. « Nous espérons que la collecte symbolique lancée ce 2 août servira d’amorce à un fonds durable de sauvegarde », précise Nicaise Loufoua, conseiller culturel à la mairie de Pointe-Noire. Une telle inscription conforterait la transmission intergénérationnelle, alors que le numérique bouleverse les modes de socialisation.
Un rendez-vous fédérateur pour la cité océane
À l’heure où Pointe-Noire se trouve en pleine mutation urbaine, appelant de ses vœux une diversification économique au-delà du seul secteur pétrolier, la réhabilitation des arts vivants offre une respiration citoyenne. Le rassemblement attendu sur l’esplanade Yaro devrait attester de l’appétence du public pour des formes artistiques porteuses de dialogue social et de fierté patrimoniale. À quelques jours du lever de rideau, les conteurs répètent leurs chœurs parlés sous les manguiers, tandis que les tambours se tendent pour résonner en hommage à une mémoire commune que l’on choisit, ce soir-là, de mettre au présent.