Une capitale économique en quête d’espaces marchands repensés
Longtemps présentée comme la locomotive pétrolière et portuaire du Congo, Pointe-Noire s’attelle désormais à une mutation plus discrète mais tout aussi stratégique : la reconfiguration de ses marchés domaniaux. Lancé en 2017 sous l’impulsion des autorités municipales et nationales, le projet s’inscrit dans une politique de modernisation urbaine visant à conjuguer dynamisme commercial, salubrité publique et fluidité de la circulation. En visitant les chantiers le 9 juillet, le ministre de l’Assainissement, du Développement local et de l’Entretien routier, Juste Désiré Mondélé, a salué une exécution qui atteint désormais, pour le marché central, près de 90 %. Un taux jugé « révélateur du sérieux des partenaires techniques », confie un conseiller municipal rencontré sur place.
Pour la capitale économique, l’enjeu est majeur : offrir un cadre normé aux quelque 5 000 petits commerçants qui, jusqu’ici, occupaient des emprises informelles autour du site de la Foire et de l’Organisation commerciale de houblon (OCH). Cette régulation répond aux exigences de l’assainissement urbain, enjeu régulièrement rappelé par le ministère de tutelle et par les partenaires internationaux (Programme des Nations unies pour les établissements humains, 2023).
Le marché central : d’un foisonnement anarchique à une architecture fonctionnelle
Érigé par l’entreprise italienne Franco Villarecci, le nouveau marché central déploie une structure en R+2, organisée en deux blocs distincts. Les espaces, modulables, doivent accueillir étals, chambres froides, restaurants et un supermarché, signe d’une volonté d’hybrider commerce populaire et distribution moderne. Ciment armé, charpente métallique, dalles ajourées pour la ventilation : la fiche technique aligne les standards internationaux, une première d’envergure pour la ville océane.
Sur le terrain, les équipes finalisent l’élargissement des caniveaux et la réhabilitation des voies d’accès. « Nous avons privilégié un tracé permettant aux camions légers de livrer la marchandise sans perturber la circulation des usagers », explique un ingénieur du projet. Cette approche repose sur le principe de la transitivité douce, concept prisé des urbanistes qui souhaitent réduire la congestion tout en maintenant la vitalité économique (Observatoire africain des mobilités, 2022).
La Paix : accélération remarquable et attentes sociales fortes
Situé dans le 3ᵉ arrondissement Tié-Tié, le marché de la Paix impressionne par la rapidité de son exécution. À peine deux mois après la précédente inspection ministérielle, les bâtisseurs ont achevé le gros œuvre et entament déjà les finitions. La structure, plus compacte que celle du marché central, mise sur la rationalisation de l’espace : mezzanines pour les denrées périssables, éclairage zénithal pour réduire la consommation énergétique, voie périphérique destinée aux opérations de ramassage des déchets.
Les commerçantes interrogées expriment un réel enthousiasme, à l’image de Tchikaya Rose, vendeuse de légumes depuis vingt ans : « Nous travaillions à ciel ouvert, dans la poussière et la boue. Ce nouveau marché va protéger nos marchandises et notre santé ». Le témoignage reflète l’attente d’une sécurisation sanitaire accrue, enjeu crucial depuis la pandémie de Covid-19 qui a rappelé la vulnérabilité des espaces marchands traditionnels (Organisation mondiale de la santé, 2021).
Marchés réhabilités et cohésion socio-économique : un pari mesuré
Au-delà de la qualité des infrastructures, l’administration locale mise sur une dynamique inclusive. Le schéma de réinstallation prévoit la priorisation des commerçants déjà enregistrés dans les bases de données municipales. Un dispositif de micro-crédit, élaboré en partenariat avec la Banque postale du Congo, doit faciliter l’acquisition de nouveaux étals conformes aux normes d’hygiène. Selon un économiste du Centre d’analyse des politiques publiques, « l’effet multiplicateur pourrait atteindre 1,6 point de PIB local sur cinq ans si le pouvoir d’achat des ménages est soutenu par l’amélioration de la chaîne de distribution ».
Cependant, la transition réclame un accompagnement social rigoureux. La question sensible du loyer des box se pose. Le ministère assure qu’un tarif progressif, indexé sur la taille des stands, sera appliqué. Cette modulation vise à éviter toute exclusion des petits détaillants dont la résilience économique a été éprouvée par les récentes crises exogènes, notamment l’instabilité des cours pétroliers.
Gouvernance et perspective régionale : un signal au-delà des frontières
La modernisation des marchés domaniaux s’inscrit dans une vision plus large de développement des villes secondaires, portée par le Plan national de développement 2022-2026. Pointe-Noire, trait d’union entre l’arrière-pays et l’océan, entend ainsi consolider son rôle de hub logistique sous-régional. La fluidité commerciale qu’apportera la mise en service des nouveaux marchés devrait renforcer les échanges avec l’Angola et la République démocratique du Congo, deux partenaires naturels dans la zone de la Tripartite de libre-échange (CÉÉAC, 2023).
Pour le gouvernement, l’enjeu symbolique n’est pas négligeable. En démontrant la capacité à livrer des infrastructures de qualité dans les délais, l’exécutif consolide la confiance des bailleurs et des investisseurs privés. Comme le note un diplomate africain basé à Brazzaville, « la vitesse d’exécution est un indicateur de gouvernance que scrutent attentivement les institutions financières ». Sur le plan intérieur, les marchés modernisés incarnent une réponse tangible aux aspirations citoyennes pour un cadre de vie salubre et une économie de proximité plus performante.
À l’heure où la livraison se profile, les Ponténégrins guettent l’ouverture officielle avec une curiosité ponctuée d’espoirs économiques et de fierté identitaire. La transformation attendue n’est pas qu’architecturale : elle porte la promesse d’un nouvel écosystème marchand où tradition et modernité dialoguent à parts égales, au profit d’une ville qui entend faire de la gestion urbaine un levier majeur de son attractivité.