Un budget de rigueur pour un territoire en reconstruction
Adopté le 23 juin à Kinkala, le budget 2025 du Conseil départemental du Pool s’élève à 979 267 949 FCFA, un montant inférieur aux attentes initiales mais présenté par le président Michel Bouboutou Mampouya comme « l’instrument pragmatique d’une transition budgétaire responsable ». Derrière la formule, une réalité bien plus complexe : marquée par plusieurs cycles de violence depuis vingt ans, la région se trouve encore en phase de consolidation économique et sociale, les recettes fiscales locales restant modestes malgré la reprise des activités commerciales le long du corridor Brazzaville-Matadi.
L’exécutif départemental revendique une approche d’austérité sélective, privilégiant l’entretien des infrastructures routières secondaires, la réhabilitation de deux collèges techniques et la prise en charge des services sociaux de base. Les dépenses dites de fonctionnement strict, notamment les frais de mission et de représentation, sont, selon les documents budgétaires consultés, ramenées à 11 % de l’enveloppe globale, contre 18 % lors de l’exercice précédent. Ce signe de sobriété veut rassurer les bailleurs partenaires, au premier rang desquels la Banque mondiale et le Programme des Nations unies pour le développement, encore attentifs à la bonne gouvernance locale après les programmes d’urgence post-conflit.
Le marché transfrontalier Ngabé-Kwamouth : pari sur la diplomatie économique
Au-delà des chiffres, l’assemblée départementale a entériné l’ouverture du marché forain transfrontalier de Ngabé-Kwamouth, qui doit relier les deux rives du fleuve Congo et arrimer le Pool au réseau commercial de la province congolaise voisine du Maï-Ndombe. Inspiré des succès modestes observés à Maluku et Luozi, ce dispositif ambitionne de fluidifier la circulation des denrées vivrières, du bétail et des produits artisanaux. Dans un contexte régional où les barrières non tarifaires et les prélèvements administratifs informels freinent le commerce intrarégional, la délibération revêt un caractère quasi diplomatique.
Le gouverneur du Maï-Ndombe, interrogé par nos soins, salue « un geste concret de coopération décentralisée » tandis qu’à Brazzaville le ministère de l’Intégration sous-régionale encourage « toute initiative locale susceptible de densifier le marché commun CEEAC ». Les douanes nationales, traditionnellement réticentes à déléguer des facilités commerciales, promettent un guichet unique simplifié, signe que l’État central perçoit lui aussi l’intérêt stratégique de désenclaver le Pool sans recourir à un coûteux réseau routier parallèle.
Pacifier la ruralité : encadrement de l’élevage et gestion foncière
La session extraordinaire a par ailleurs adopté un texte sur la « circulation de bétail et la répression de la divagation des bêtes ». Derrière ce vocabulaire administratif se cache la volonté d’anticiper les conflits agropastoraux, récurrents depuis l’arrivée de nouveaux éleveurs peuls fuyant l’insécurité dans la région sahélienne. Les agriculteurs locaux accusent régulièrement les bergers d’empiéter sur les champs vivriers, tandis que les éleveurs dénoncent le manque de couloirs de transhumance balisés. La délibération crée une commission mixte, intégrant autorités traditionnelles, vétérinaires et officiers de gendarmerie, chargée d’homologuer des « zones de pâturage temporaires ».
Outre sa dimension sociale, la mesure répond à un calcul économique : selon la Direction départementale de l’agriculture, les pertes post-récolte liées au piétinement du manioc et du maïs représentent jusqu’à 6 % du produit intérieur agricole local. Limiter ces frictions pourrait donc dégager des marges budgétaires indirectes et renforcer la sécurité alimentaire, un impératif alors que les indicateurs de malnutrition aiguë restent supérieurs à la moyenne nationale.
Gouvernance locale : entre pédagogie budgétaire et responsabilité politique
Le président Michel Bouboutou Mampouya insiste sur la dimension éducative du vote budgétaire, rappelant que « chaque conseiller est désormais comptable devant ses administrés des arbitrages opérés ». Pour matérialiser cette responsabilité, une plateforme numérique d’information financière sera mise en ligne début 2025, avec un volet participatif permettant aux citoyens de suivre l’exécution des projets. Cette innovation, déjà testée dans le département voisin de la Cuvette, répond à la doctrine de décentralisation promue par la Constitution de 2015, mais se heurtera à la faible couverture internet en zone rurale.
Les diplomates africains en poste à Brazzaville voient toutefois dans cette transparence naissante un laboratoire pour d’autres collectivités. Un attaché économique de l’Union européenne confie que « la diffusion publique des données de dépense est un prérequis non écrit pour tout appui budgétaire futur », confirmant la corrélation croissante entre aide extérieure et standards de redevabilité.
Un test de crédibilité pour les finances publiques congolaises
À l’échelle macroéconomique, les 979 millions de FCFA du Pool pèsent peu face aux 2 345 milliards du budget national 2024, mais la symbolique dépasse le montant. Le ministère des Finances surveille l’expérience comme un indicateur de capacité des collectivités à absorber et exécuter des fonds sans dérapage. Dans la perspective d’un futur emprunt obligataire sous-régional, le Trésor congolais a intérêt à prouver que la chaîne des dépenses publiques est maîtrisée aussi bien à Brazzaville que dans les départements.
Si la trajectoire est respectée, le Pool pourrait, dès 2026, prétendre à une bonification de 15 % de ses allocations de l’État selon le mécanisme de péréquation. À l’inverse, un écart de plus de 10 % entre prévisions et réalisations déclencherait une revue corrective et retarderait les projets, notamment la modernisation de l’aérodrome de Kindamba. Le message envoyé par l’exécutif est clair : la crédibilité financière se construit désormais au niveau infranational.
Vers 2025 : attentes, prudence et diplomatie de proximité
La cérémonie de clôture, en présence des préfets du Pool et du Djoué-Léfini, a marqué la réaffirmation de l’unité administrative autour d’un budget jugé « réaliste et protecteur ». Pourtant, la prudence reste de mise : la fragilité des recettes fiscales, la volatilité des cours internationaux du bois et l’inflation importée pourraient grignoter les marges déjà étroites. De surcroît, toute recrudescence des tensions sécuritaires le long du tronçon Mindouli-Mayama ferait exploser les dépenses imprévues.
Pour l’heure, les partenaires extérieurs observent la démarche avec un mélange d’espoir et de scepticisme. Le Pool affiche une volonté d’insertion économique régionale et de pacification foncière, autant de signaux positifs pour la diplomatie de proximité que prône la Communauté économique des États d’Afrique centrale. Il n’en demeure pas moins que le succès tiendra à l’exécution concrète des lignes budgétaires et à la capacité des élus à maintenir un dialogue inclusif avec des populations rurales souvent éloignées des arènes décisionnelles.