Un festival sous le signe de la diplomatie culturelle
La douzième édition du Festival panafricain de musique a refermé ses portes sous la fraîcheur d’une soirée de saison sèche, mais la salle de l’Olympia, au cœur du quartier Poto-Poto, affichait complet. Près de cinq cents spectateurs, dont le président Denis Sassou Nguesso et un aréopage de ministres, diplomates et représentants d’organisations internationales, ont choisi de consacrer cette ultime séance à la projection du documentaire de la réalisatrice franco-algérienne Yamina Benguigui. La présence du chef de l’État, remarquée et saluée, témoignait de la volonté des autorités de positionner la culture comme vecteur d’influence douce et de cohésion nationale.
La rumba patrimoine vivant et vecteur d’unité
Depuis son inscription au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco en 2021, la rumba congolaise suscite un regain d’intérêt académique et médiatique. Genre né du croisement entre rythmes bantous et biguine caribéenne, elle a franchi le fleuve Congo pour tisser un pont musical entre Brazzaville et Kinshasa, comme le rappelle l’historien Didier Gondola. Le film de Benguigui interroge cette mémoire partagée et montre comment la mobilité des artistes a longtemps transcendé les frontières coloniales puis nationales pour installer une identité sonore désormais perçue comme un patrimoine commun.
Des voix féminines longtemps reléguées
Au sein de cette fresque transnationale, le rôle des femmes fut longtemps éclipsé par le récit héroïque des orchestres masculins. Du timbre incandescent de Lucie Eyenga, qui chanta dès 1956 la libération d’un Congo encore sous joug belge, jusqu’aux envolées de Mbilia Bel, icône des années 1980, les interprètes féminines ont pourtant modulé la rumba d’accents où l’intime et le politique s’entremêlent. Le documentaire rappelle que ces artistes durent composer avec des contraintes sociales plus strictes que leurs pairs masculins, négociant entre vie domestique, attentes morales et tournées internationales.
Un documentaire comme acte de réparation symbolique
« Je voulais sortir ces pionnières de l’invisibilité », confie Yamina Benguigui dans son propos liminaire. Pendant soixante minutes, la cinéaste convoque archives sonores, images d’actualités et témoignages contemporains pour reconstituer une généalogie féminine de la rumba. On y entend Faya Tess regretter que certains de ses droits d’auteur ne lui aient jamais été versés malgré quarante-deux ans de carrière, ou encore la slameuse brazzavilloise Mariusca Moukengué saluer « le début d’une belle aventure » qui fera école auprès de la jeune génération. L’ovation finale du public souligne la portée réparatrice de cet exercice mémoriel.
Enjeux contemporains : droits d’auteur et économie créative
La question des rémunérations équitables traverse le film comme un fil rouge. Si la rumba demeure un atout stratégique pour l’image internationale du Congo, son écosystème économique reste fragile. Le ministère de la Culture, engagé dans la modernisation du Bureau congolais des droits d’auteur, a récemment annoncé un plan de numérisation du registre des œuvres afin de sécuriser les redevances. Dans un contexte où le numérique reconfigure la diffusion musicale, ce chantier institutionnel pourrait renforcer la viabilité d’une filière estimée à plusieurs milliards de francs CFA selon les projections de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale.
Perspectives pour la coopération culturelle régionale
Au-delà de la reconnaissance patrimoniale, la rumba porte une fonction diplomatique tangible. Des projets de résidence croisée entre Brazzaville, Kinshasa et Pointe-Noire sont à l’étude, tandis que l’Union africaine envisage de faire du Fespam une plateforme continentale permanente. Pour les décideurs présents à l’Olympia, le documentaire de Benguigui résonne comme un plaidoyer en faveur d’une gouvernance culturelle inclusive, capable de conjuguer équité de genre, mémoire collective et prospérité partagée. En redonnant voix aux héroïnes de la rumba, le Congo-Brazzaville affirme sa capacité à transformer un héritage musical en levier de rayonnement et de cohésion, au service d’un avenir commun.