La maturation d’une politique publique singulière
Le 31 juillet, dans le salon feutré d’un hôtel de la capitale, les acteurs institutionnels et associatifs ont longuement ausculté les résultats d’une expérience qui, depuis 2015, façonne en profondeur l’architecture congolaise de protection de l’enfance. Le Système intégré de protection de l’enfant – Sipe pour l’acronyme devenu familier – est né de la volonté conjointe du gouvernement et du Bureau pays de l’Unicef de rompre avec les approches sectorielles. Conformément aux orientations de la Stratégie nationale de développement et des Objectifs de développement durable, le pari consistait à bâtir un continuum d’interventions où justice, santé, état civil, forces de sécurité et pouvoir coutumier se répondent, évitant ainsi les ruptures de prise en charge qui fragilisent les plus jeunes.
Deux territoires pilotes comme laboratoire social
La mise à l’épreuve de cette ingénierie institutionnelle a été concentrée sur deux espaces aux profils contrastés : le district rural de Sibiti, dans la Lékoumou, et l’arrondissement urbain de Moungali, à Brazzaville. Fort d’une enveloppe de 647 millions de francs CFA, le programme y a financé la formation de magistrats spécialisés, l’ouverture de guichets d’état civil dématérialisés, la dotation de postes de police en protocoles de prise en charge et, surtout, la constitution de comités de protection communautaires. Ce choix d’une territorialisation différenciée, salué par plusieurs observateurs, a permis d’apprécier la plasticité du dispositif dans des contextes socio-culturels distincts, tout en évitant un déploiement précipité et coûteux à l’échelle nationale.
Un examen sous le prisme de l’efficacité et des droits
Commanditée en 2024, l’évaluation indépendante présentée par Roland Bris Kongo livre un diagnostic nuancé. Sur les critères de pertinence et d’équité, le Sipe obtient des appréciations favorables, son alignement avec les politiques publiques étant jugé « exemplaire ». La cohérence inter-agences, en revanche, demeure perfectible : les synergies avec d’autres branches onusiennes ou avec certains ministères techniques n’atteignent pas encore le niveau requis pour une action pleinement intégrée. L’étude pointe également la nécessité d’un reporting financier plus granulaire, gage de transparence et de redevabilité auprès des partenaires et des citoyens.
Recommandations : cap sur la transversalité et la mobilisation locale
Parmi la dizaine de pistes tracées, trois ressortent avec acuité. D’abord, la désagrégation systématique des données selon le sexe, l’âge, le handicap ou la localisation, afin d’orienter les ressources vers les groupes les plus vulnérables. Ensuite, la diversification des sources de financement, l’expert plaidant pour un mécanisme d’épargne communautaire capable de compléter les lignes budgétaires nationales. Enfin, la communication, décrite comme le « maillon manquant » : si des progrès substantiels ont été enregistrés – nombre d’actes de naissance délivrés à temps, taux de scolarisation des enfants dits à risque – ces succès demeurent souvent invisibles hors des cercles institutionnels.
Vers une généralisation pragmatique et graduée
Christian Roch Mabiala, directeur général des Affaires sociales, a insisté sur la « responsabilité collective » qui incombe désormais aux parties prenantes : « L’heure n’est plus aux expérimentations mais à la consolidation ». Sur le plan opérationnel, le ministère prépare un plan quinquennal de déploiement qui s’appuiera sur les collectivités locales, considérées comme pivot de la durabilité. Le schéma proposé entend capitaliser sur les acquis des zones pilotes tout en adaptant les protocoles aux réalités des départements, afin d’éviter l’écueil d’un modèle uniforme. Cette démarche, qui épouse les recommandations de l’évaluation, illustre une gouvernance attentive aux spécificités territoriales.
Un enjeu diplomatique et sociétal
Au-delà de la seule protection de l’enfance, le Sipe cristallise une dimension diplomatique, symbolisant la capacité du Congo à traduire ses engagements internationaux en politiques publiques tangibles. Dans un contexte régional où les flux migratoires, les crises sanitaires et les cyber-violences accroissent l’exposition des mineurs, disposer d’un dispositif robuste confère au pays un avantage certain en matière de stabilité sociale. Comme le souligne un diplomate africain en poste à Brazzaville, « un État qui protège ses enfants envoie au monde le signal qu’il protège son futur ». Le chemin vers la généralisation reste exigeant, mais les fondations posées à Sibiti et Moungali attestent qu’un cadre cohérent, adossé à une volonté politique constante, peut dessiner les contours d’un bouclier national en faveur de l’enfance.