La création d’UNICOOPAC, symptôme d’une nouvelle maturité agricole
Au matin du 27 juin 2025, le siège de l’Union congolaise des coopératives, producteurs et artisans du Congo, niché dans le quartier de Talangaï, bruissait d’une effervescence que l’on n’associe plus guère aux colloques agricoles. Cette organisation, portée sur les fonts baptismaux un an auparavant et désormais présidée par Aser Sidney N’se Adzeney, a choisi la forme d’une conférence de presse pour poser un diagnostic sans concession : le Congo, doté de plus de dix millions d’hectares arables, importe encore l’essentiel de son panier alimentaire. La présence de sa marraine, Mme Joël Longonda, a donné à l’événement la tonalité institutionnelle nécessaire pour inscrire l’initiative dans la continuité de la vision présidentielle, souvent résumée en une formule martelée : « Un peuple qui ne produit pas n’est pas libre. »
En se définissant comme une structure syndicale de plaidoyer, l’UNICOOPAC s’octroie une position charnière entre base paysanne et pouvoir réglementaire. Cette posture, inédite par son ampleur fédérative, suggère que les acteurs agricoles congolais s’accultureront progressivement aux mécanismes de concertation qui, ailleurs sur le continent, ont permis de transformer des exploitations de subsistance en filières agro-industrielles compétitives.
L’agriculture congolaise face au paradoxe des terres vierges et des assiettes importées
Le contraste est saisissant : forêts luxuriantes, précipitations abondantes, hydrographie généreuse, et pourtant des marchés urbains inondés de denrées venues de l’étranger. Ce paradoxe, régulièrement souligné dans les travaux de la Banque africaine de développement, se nourrit d’obstacles logistiques, d’un capital humain insuffisamment formé et d’un accès limité au crédit productif. L’UNICOOPAC entend s’attaquer à ce triangle de contraintes en mobilisant la force collective des coopératives pour réduire les coûts de transaction, mutualiser l’accès aux intrants et structurer la commercialisation.
Dans l’argumentaire du président Adzeney, l’enjeu dépasse la simple substitution d’importations ; il s’agit de valoriser la terre comme instrument d’inclusion socio-économique. L’urbanisation rapide, que le recensement général situe déjà au-delà de 60 % de la population, exerce une pression supplémentaire sur la production nationale. Or la demande citadine offre aussi un débouché solvable susceptible de sécuriser l’investissement agricole, à condition de fiabiliser la chaîne logistique du champ à l’étal.
La fenêtre stratégique ouverte par la ZLECAF et la diplomatie économique de Brazzaville
À l’heure où la Zone de libre-échange continentale africaine s’apprête à connecter plus d’un milliard de consommateurs, le Congo se découvre une position géographique enviable, pivot entre le golfe de Guinée et l’intérieur continental. L’administration congolaise, qui a ratifié les protocoles de la ZLECAF dès leur adoption, mise sur l’agriculture pour diversifier un PIB encore tributaire des hydrocarbures. Dans cette stratégie, l’UNICOOPAC joue le rôle d’agrégateur, apte à proposer des volumes homogènes répondant aux standards régionaux de qualité.
Les économistes rappellent que l’intégration commerciale n’est pas une panacée : l’accès au marché n’a de sens que si la capacité productive suit. En invoquant le spectre d’une ouverture non maîtrisée, l’UNICOOPAC invite donc à conjuguer diplomatie économique et politique sectorielle. La réactivation du chemin de fer Congo-Océan et la modernisation des voies fluviales, annoncées par le ministère des Transports, participeront de cette cohérence d’ensemble, condition sine qua non pour réduire les coûts logistiques et rendre l’offre congolaise compétitive.
La formation, matrice d’une productivité endogène et durable
Un consensus se dégage autour de la nécessité de valoriser le capital humain. Sans compétences agronomiques pointues, la fertilité naturelle risque de se muer en exploitation extensive peu rentable. L’UNICOOPAC prévoit de déployer, avec l’appui des universités publiques et des centres de recherche agronomique, un programme de formations modulaires couvrant la sélection variétale, les itinéraires techniques adaptés aux sols ferrallitiques et les méthodes de conservation post-récolte. Cette approche répond également aux objectifs nationaux de développement durable, puisqu’elle promeut des techniques limitant l’érosion et l’usage intensif de phytosanitaires.
Le positionnement stratégique sur les cultures d’appoint à forte valeur ajoutée, telles que le cacao fin ou le piment oiseau, offre par ailleurs une piste pour doper les revenus des exploitants sans empiéter sur la sécurité alimentaire domestique. Ici encore, la transmission du savoir-faire se révèle décisive : la compétitivité d’un terroir se mesure moins à sa simple fertilité qu’à la maîtrise des normes phyto-sanitaires, désormais incontournables sur les marchés extérieurs.
Synergies publiques-privées : mécanisation et gouvernance au service des coopératives
Le président Adzeney ambitionne l’installation de centres de mécanisation régionaux capables de louer tracteurs et batteuses à des tarifs modulés. Dans un contexte où moins de 3 % des exploitations disposent d’un engin motorisé, la démarche se veut résolument inclusive. La négociation en cours avec les pouvoirs publics pour sécuriser un cadre fiscal incitatif témoigne d’une convergence d’intérêts : l’État y voit l’occasion de consolider la sécurité alimentaire, les exploitants l’opportunité d’abaisser la pénibilité et d’augmenter la productivité.
Sur le plan de la gouvernance, l’UNICOOPAC prône un reporting transparent, adossé à des indicateurs de performance partagés. Cette culture de la reddition de comptes répond aux attentes des bailleurs internationaux, souvent réticents à investir dans des structures peu lisibles. À moyen terme, la coopérative envisage d’émettre des certificats de dépôt adossés à des silos collectifs, garantissant aux agriculteurs des avances de trésorerie et aux acheteurs une traçabilité accrue.
Vers une souveraineté alimentaire compatible avec les ambitions climatiques
Tandis que la communauté internationale plaide pour une transition verte, le Congo entend faire de la relance agricole un laboratoire de compatibilité entre souveraineté alimentaire et engagements climatiques. Les programmes de création de haies vives, la promotion de l’agro-foresterie et le recours aux énergies renouvelables pour les stations de pompage s’inscrivent dans la ligne directrice fixée par la Commission nationale du développement durable.
La trajectoire reste exigeante : il faudra orchestrer investissements massifs, évolution des mentalités et adaptation des institutions. Cependant, la détermination affichée par l’UNICOOPAC, conjuguée à l’appui politique et à la fenêtre d’opportunités qu’offre la ZLECAF, esquisse un scénario crédible dans lequel le Congo, loin d’être simple importateur structurel, redeviendrait exportateur net sur certaines filières stratégiques. Ainsi, sous les tropiques où la terre ne ment jamais, l’heure est venue de la faire enfin parler.