Un programme inédit entre Rome et Brazzaville
À Rome, le plan Mattei se veut la pierre angulaire d’une coopération « gagnant-gagnant ». En choisissant le Congo comme terrain d’expérimentation, l’Italie reconnaît la position centrale de Brazzaville dans la sous-région et la stabilité politique qui y encourage des investissements pérennes.
Le mémorandum signé le 19 juin fixe un cadre institutionnel précis : gouvernance multipartite, suivi trimestriel et enveloppe initiale de dix millions d’euros pour les premières cohortes de start-ups, selon l’ambassadeur Enrico Nunziata, reçu le 22 juillet par le ministre Léon Juste Ibombo.
La jeunesse congolaise au cœur de la feuille de route
Les autorités rappellent que plus de 60 % de la population congolaise a moins de trente ans. Le programme cible prioritairement cette jeunesse connectée, habituée aux usages mobiles mais encore confrontée à un marché de l’emploi formel limité.
L’accompagnement prévoit un suivi individualisé, des mentors issus de l’écosystème italien et un accès facilité aux incubateurs locaux comme le Fongwama Hub. L’objectif est de transformer des idées en prototypes, puis en entreprises capables d’exporter leurs services dans toute la CEMAC.
Un module intensif de six mois sera consacré à la gestion de projet, au marketing digital et au droit des affaires. Les lauréats bénéficieront de bourses pour passer des certifications internationales, un avantage souvent décisif pour attirer des capitaux étrangers.
Santé, agriculture, logistique : les secteurs ciblés
Santé numérique, agriculture de précision et logistique urbaine constituent les premiers domaines retenus. Ils répondent aux priorités nationales, notamment l’amélioration des systèmes sanitaires, l’accroissement de la productivité agricole et la fluidification des chaînes d’approvisionnement vers les marchés intérieurs et les ports atlantiques.
Pour les experts de la Banque africaine de développement, le potentiel est réel : les dépenses de santé privées en Afrique centrale progressent de 9 % par an, tandis que la demande pour des solutions de stockage du manioc ou du cacao reste largement insatisfaite.
Financement : réduire le fossé régional
Le diagnostic financier demeure plus contrasté. En 2023, moins de 15 % des fonds levés sur le continent ont bénéficié à l’Afrique centrale, rappelle l’ONG Partech. Quatre marchés anglophones captent l’essentiel des tours de table supérieurs à cinq millions de dollars.
En choisissant le Congo comme vitrine francophone, Rome espère contribuer à rééquilibrer la géographie du capital-risque. Le dispositif prévoit un fonds de garantie, cogéré avec l’Agence de promotion des investissements, destiné à couvrir partiellement le risque monétaire et politique.
Les autorités congolaises entendent également mobiliser le Fonds souverain pour l’avenir du Congo afin de co-investir au capital des jeunes pousses stratégiques. « Nous voulons être actionnaires de notre propre croissance », souligne un conseiller du Premier ministre, citant l’exemple du Rwanda.
Défis techniques et réponse gouvernementale
Sur le terrain, les start-ups devront composer avec l’accès encore irrégulier à l’électricité et à l’internet haut débit. Le gouvernement assure que la construction du troisième backbone fibre optique, financée par la Banque mondiale, réduira la latence à moins de 50 millisecondes.
Des universités publiques participeront au dispositif. Trois nouvelles filières de licence, orientées intelligence artificielle, cybersécurité et agrotech, ouvriront en octobre sur le campus de l’Université Marien-Ngouabi. Les diplômés auront un accès prioritaire aux concours de sélection des projets appuyés par le plan Mattei.
Partenariats industriels stratégiques
Du côté des entreprises italiennes, les groupes Leonardo et Eni étudient déjà la possibilité d’installer des laboratoires satellites à Pointe-Noire pour tester des solutions drones et IoT destinées à la surveillance des pipelines. Des emplois de techniciens de maintenance de haut niveau pourraient en découler.
Les organisations de la société civile saluent un projet susceptible d’éviter la fuite des cerveaux. « La meilleure façon de retenir les talents est de leur offrir des perspectives locales crédibles », insiste la sociologue Armelle Massanga, qui appelle toutefois à une politique de genre ambitieuse au sein des incubateurs.
Mesure d’impact et extension régionale
D’ici 2027, le suivi d’impact mesurera la survie des start-ups après trois ans, le volume d’emplois créés et le pourcentage d’exportations hors CEMAC. Les indicateurs serviront à calibrer l’extension du programme vers le Gabon, le Tchad ou la Centrafrique.
Au-delà du numérique, l’initiative s’inscrit dans la diversification économique prônée par le Plan national de développement 2022-2026. Elle complète les ambitions du projet Inga-Brazzaville, du port en eaux profondes de Banana et du corridor routier Pointe-Noire-Ouesso, piliers de l’intégration sous-régionale.
La réussite du pilote congolais pourrait offrir un modèle réplicable à d’autres pays aux structures économiques similaires. Rome y verrait la confirmation de son approche partenariale, tandis que Brazzaville consoliderait son image de carrefour technologique responsable et ouvert à l’investissement international.
Plus qu’un simple coup de projecteur, cette synergie entre gouvernements, entreprises et universités entend poser les bases d’un écosystème robuste, capable d’absorber les chocs extérieurs et de générer une croissance inclusive sur le long terme, selon les termes du ministre des Finances.
Les premiers appels à projets seront lancés début 2025 ; les candidats disposeront d’une plateforme unique pour soumettre leurs dossiers, sécurisée grâce à la blockchain, afin de garantir transparence et traçabilité des processus de sélection.