Un geste symbolique d’amitié culturelle
Sur les pavés du ministère congolais de l’Industrie culturelle, trois tam-tams vénézuéliens scintillaient sous le soleil d’août, marquant l’aboutissement d’un rite diplomatique tout en percussion.
L’ambassadrice Laura Suarez Evangelia les a remis à la ministre Marie-France Hélène Lydie Pongault, rappelant que ces instruments furent joués par la délégation vénézuélienne lors du récent Fespam.
Ce don dépasse l’apparence folklorique : il matérialise une convergence mémorielle entre Caracas et Brazzaville, postulant que le lien afro-descendant se joue autant dans les sons que dans les mots.
Mme Pongault a salué « une passerelle artistique susceptible de stimuler l’industrie créative nationale », rappelant la priorité présidentielle accordée à la valorisation des patrimoines immatériels congolais.
Devant la presse, l’ambassadrice a insisté sur la dimension familiale des trois tambours, métaphore d’un foyer transatlantique où le Congo n’est pas visiteur, mais ancêtre reconnu.
Fespam 2023, vitrine panafricaine et mondiale
Le Festival panafricain de musique, né en 1996, a rassemblé cette année plus de quarante pays, transformant Brazzaville en carrefour sonore et diplomatique durant huit jours.
Pour la première fois, le Venezuela y participait officiellement, mobilisant neuf musiciens du collectif Madera, réputé pour ses percussions issues des plantations côtières de Barlovento.
Le croisement de leurs rythmes avec ceux du ballet congolais Tam-tam sans frontière a produit une fusion remarquée, décrite par des critiques comme « une conversation sans interprète ».
Selon le comité d’organisation, cette collaboration illustre l’objectif stratégique du Fespam : faire de la culture un outil de coopération Sud-Sud complémentaire des canaux classiques d’aide publique.
Les tam-tams, ponts mémoriels transatlantiques
Dans la cosmogonie bantoue, le tam-tam n’est pas simple instrument ; il code les hiérarchies sociales, convoque les esprits et régule les cadences agricoles.
En Amérique latine, les tambours afro-descendants ont joué un rôle analogue, perpétuant une langue rythmique devenue résistance symbolique face à l’ordre colonial.
L’ethnomusicologue vénézuélien Jesús Chucho García rappelle que « chaque frappe raconte le départ forcé, mais aussi le retour imaginaire vers le golfe de Guinée ».
Ainsi, la présence des tam-tams à Brazzaville boucle symboliquement un cycle de quatre siècles, transformant la douleur historique en matière première de dialogues contemporains.
Les artistes congolais, eux, y voient un signe d’ouverture vers l’espace latino-caribéen, territoire encore marginal dans les tournées africaines mais fort d’un marché diasporique dynamique.
Diplomatie culturelle et soft power convergent
Depuis une décennie, la diplomatie vénézuélienne mise sur la culture pour contourner l’isolement géopolitique, multipliant les échanges artistiques en Afrique subsaharienne selon le principe du « pétrole pour tambours ».
Le Congo, producteur pétrolier ouvert aux coopérations Sud-Sud, trouve dans cette offre un complément à ses propres ambitions de diversification économique via les industries créatives.
Selon le politiste béninois Komi Agboka, les dons culturels constituent « un soft power de basse intensité, peu coûteux et à fort rendement symbolique pour les États émergents ».
Brazzaville en tire également profit : chaque événement international renforce sa réputation de capitale culturelle d’Afrique centrale, atout recherché dans l’espoir d’attirer touristes, investisseurs et institutions.
Le ministère congolais prévoit d’exposer les tam-tams au musée national avant de les confier à l’orchestre symphonique kimbanguiste pour une création croisée, illustrant la montée d’une diplomatie musicale congolaise.
Impacts locaux et transmission intergénérationnelle
Au-delà des salons ministériels, deux ensembles locaux ont reçu des instruments : l’orphelinat Village d’enfants Cardinal Émile Biayenda et le groupe Tam-tam sans frontière, tous deux basés à Brazzaville.
Pour le promoteur Jean Didier Mayembo, « chaque peau frappée peut devenir un tuteur psychologique pour des enfants privés de repères », soulignant la fonction thérapeutique reconnue des percussions.
Les élèves de l’orphelinat préparent déjà un spectacle associant chants en lingala et rythmes vénézuéliens, prévu lors de la Journée internationale de l’enfant africain l’an prochain.
Du côté de Tam-tam sans frontière, la remise d’instruments modernes élargit la tessiture sonore du ballet, facilitant sa candidature à des résidences artistiques en Amérique du Sud.
Ces retombées locales illustrent la théorie sociologique du capital culturel, où l’objet symbolique accroît la confiance collective et active des réseaux souvent hors de portée des budgets publics.
Vers une coopération créative pérenne
La ministre Pongault a annoncé l’élaboration d’un programme de résidences croisées Congo-Venezuela, incluant ateliers de lutherie, masterclasses de danse et recherches académiques sur les convergences rythmiques.
L’université Marien-Ngouabi et l’université de Caracas envisagent de codiriger un observatoire des musiques afro-atlantiques afin de documenter systématiquement circulations d’instruments, de musiciens et de répertoires.
À moyen terme, Brazzaville souhaite inscrire cette coopération culturelle dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine, misant sur l’exportation de spectacles comme vecteur économique.
Les tam-tams vénézuéliens auront ainsi démarré leur seconde vie : de cadeau protocolaire, ils deviennent le métronome d’une alliance créative appelée à résonner au-delà des deux capitales.
De son côté, l’ambassade du Congo à Caracas prévoit une semaine culinaire et cinématographique pour montrer l’image contemporaine du pays aux diasporas afro-vénézuéliennes.
Experts et diplomates conviennent que ces initiatives, modestes en budget, s’inscrivent dans la nouvelle scène de la coopération culturelle où le tambour dialogue avant le traité.