Un choc d’approvisionnement rapidement maîtrisé
L’onde de choc provoquée par la raréfaction du carburant au début de l’année a rapidement atteint le bitume brazzavillois. Les longues files d’attente devant les stations-service, aujourd’hui résorbées, ont accaparé les écrans de télévision et créé un contexte propice à des ajustements tarifaires improvisés. L’administration centrale, tout en sécurisant les réserves stratégiques auprès de la Société nationale des pétroles du Congo, a réaffirmé le tarif légal de 150 francs CFA par trajet urbain, rappelant qu’il n’avait jamais été question d’en modifier le barème.
Cet épisode illustre la forte élasticité du secteur à la conjoncture internationale. Les congestions logistiques enregistrées dans le golfe de Guinée ont perturbé l’acheminement des dérivés raffinés, tandis que le dollar fort renchérissait la facture des importations. Brazzaville a connu, en miniature, ce que plusieurs capitales africaines subissent à plus grande échelle : un choc exogène infiltrant instantanément le marché informel du transport.
Les entrepreneurs de la route, arbitres improvisés du tarif
Privatisée de facto depuis la faillite de la Société des transports publics urbains (STPU) en 2022, la desserte de l’agglomération dépend désormais d’une myriade d’opérateurs invoquant le modèle de l’auto-financement. Des minibus Coaster aux taxis collectifs, chacun a fixé dans l’urgence ses propres barèmes, souvent indexés sur le prix noir du litre de gasoil. « Le tarif est devenu une variable d’ajustement quotidienne », reconnaît un syndicaliste du secteur, M. Armel Kouka, qui plaide néanmoins pour « une tarification d’équilibre tenant compte de l’usure des véhicules et de la fiscalité ».
Ce pragmatisme, s’il a permis la continuité du service au plus fort de la crise, se heurte à une population dont le revenu mensuel médian n’excède pas l’équivalent de 60 000 francs CFA, selon l’Institut national de la statistique. Les ménages ont pris de plein fouet un doublement, parfois un triplement, du coût de la mobilité quotidienne. Pourtant, comme le souligne la sociologue Mireille Baongui, « l’accessibilité physique à l’emploi reste le premier levier de résilience sociale ; chaque franc supplémentaire amputé au transport se répercute sur la nutrition ou la scolarisation ».
La réponse publique : concertation et nouveau cadre réglementaire
Dans une allocution devant le Sénat la semaine dernière, le ministre des Transports, Jean-Luc Mouthou, a qualifié la spéculation tarifaire de « phénomène transitoire », annonçant l’ouverture d’un dialogue tripartite réunissant opérateurs, collectivités et associations de consommateurs. Parmi les pistes évoquées se trouvent la mise en place d’un observatoire des prix, l’harmonisation des licences de transport et le déploiement de brigades mobiles de contrôle. « Notre responsabilité est de protéger le pouvoir d’achat sans fragiliser l’offre de mobilité », a souligné le ministre, rappelant que l’État avait consenti à maintenir une subvention partielle sur le carburant.
Parallèlement, un projet de partenariat public-privé pour relancer une compagnie urbaine dotée de bus à haut niveau de service circule dans les cercles techniques. Selon une source proche du dossier, la Banque de développement des États de l’Afrique centrale étudierait un schéma de financement à maturité longue, conditionné à l’introduction d’une billettique électronique garantissant la transparence des recettes.
Vers une tarification sociale durable
Au-delà de l’urgence, la question des transports interroge la planification urbaine de Brazzaville, dont la population frôle désormais deux millions d’habitants. La Banque mondiale estime que la croissance démographique de la capitale exige au minimum un doublement de l’offre de transport collectif à l’horizon 2030. Dans ce contexte, la stratégie gouvernementale s’oriente vers un modèle mixte où les transporteurs privés resteraient majoritaires mais encadrés par un cahier des charges précis, assorti d’incitations fiscales pour les véhicules propres.
L’universitaire Germain Mavoungou, spécialiste de l’économie des infrastructures, note que « la soutenabilité du tarif à 150 francs CFA dépendra d’une rationalisation des itinéraires et de la réduction des trajets à vide ». Les technologies de géolocalisation, déjà expérimentées dans les taxis de Pointe-Noire, pourraient être étendues à Brazzaville pour optimiser les flottes et absorber la volatilité des cours énergétiques.
Un enjeu de cohésion sociale et de compétitivité urbaine
Pour les Congolais, le bus n’est pas qu’un moyen de locomotion ; il constitue un lien indispensable entre périphéries résidentielles et centres d’activité. Le maintien d’un tarif accessible contribue à la stabilité du climat social, condition nécessaire à l’attractivité économique de la capitale. La Fédération des entreprises du Congo rappelle qu’un salarié dépensant plus de 20 % de son revenu en transport voit sa productivité décliner par absentéisme ou retards récurrents.
En consolidant l’approvisionnement en carburant, en négociant une grille tarifaire réaliste et en modernisant la gouvernance du secteur, les autorités entendent transformer une crise ponctuelle en levier de réforme. L’épisode aura au moins révélé, par contraste, l’urgence d’un système de transport structuré, vecteur de développement autant que de cohésion nationale.